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14 juin 2016 2 14 /06 /juin /2016 15:19

Les 26 mai et 9 juin 2016, la Haute Autorité Ethique du Parti Socialiste (HAE) s'est réunie pour délibérer à la demande du Premier secrétaire du PS, suite à la tentative de dépôt d'une motion de censure de gauche par une vingtaine de députés socialistes après le recours par le gouvernement à l'article 49 alinéa 3 de la constitution pour faire adopter sans vote le projet de loi El Khomri.

Les résultats de la délibérations que vous pourrez lire en détail plus bas sont particulièrement alambiqués, mais contrairement à ce qu'en a raconté la presse, ils ne sont pas défavorables aux députés concernés.

En effet, la HAE indique qu'elle n'a reçu aucune réponse aux demandes d’informations complémentaires qu'elle avait formulées, relatives aux conditions d’adoption de la position du Parti socialiste, qui ont été adressées le 26 mai, d’une part, au Premier Secrétaire pour ce qui concerne le vote en bureau du Parti socialiste, et, d’autre part, à la Secrétaire générale du groupe SRC à l’Assemblée Nationale, Madame Pascale Charlotte, pour ce qui concerne la réunion, le 10 mai, du groupe SRC à l’Assemblée nationale lors du vote interne relatif au projet de loi visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actif-ve-s (ci-après « loi Travail »). Il y a donc eu volonté de la direction du PS et du groupe parlementaire de ne surtout pas répondre à des demandes car celles-ci leur auraient été défavorables.

Par ailleurs, la HAE rappelle qu'elle n’est dotée d’aucun pouvoir juridictionnel ni même disciplinaire, qu’elle n’est pas davantage habilitée à prononcer de sanctions.

Selon elle, cette tentative de dépôt d’une motion de censure doit s’interpréter comme un acte symbolique dont la mesure de la portée politique n’appartient pas à la HAE.

Elle rappellent que les députés mis en cause en appellent à leur éthique de conviction en faisant valoir, notamment, que, d’une part, aucune délibération collective ne peut leur être opposée, la réunion du groupe SRC le 10 mai n’ayant été précédée d’aucun ordre du jour, de sorte que seuls 84 des 290 membres du groupe ont pris part au vote ; que, d’autre part, le projet de loi n’a fait l’objet d’aucun vote par le bureau du Parti socialiste ; qu’enfin, la disposition du projet de loi Travail qui a principalement motivé la tentative de dépôt de motion de censure, à savoir l’article 2, est contraire au texte de la motion majoritaire adoptée au Congrès de Poitiers en juin 2015. Or n’ayant jamais reçu de la part du groupe et de la direction du PS les réponses aux questions complémentaires qu'elle leur avait adressé (normal ils ne pouvaient pas argumenter du contraire), la HAE n'avait donc d’autre choix que de s’en tenir à la version relatée dans les courriers des députés mis en cause.

La HAE rappelle sa préoccupaton majeure concernant l’éthique de délibération, seule à même d’être valablement opposée à ceux qui n’adhèrent pas à la décision prise ; elle considère donc que cette éthique de délibération n'a pas été respectée par le groupe parlementaire et la direction du PS : "les conditions dans lesquelles le groupe SRC a délibéré sur le projet de loi Travail ne sont pas étrangères aux dysfonctionnements qui ont suivi (...) ; il conviendrait donc que des mesures soient prises pour que les délibérations puissent à l’avenir se dérouler dans de meilleures conditions."

La Haute Autorité Ethique formule donc l'avis suivant :
1°/ La liberté de vote des parlementaires, qui est au fondement du système représentatif et de la séparation des pouvoirs, doit être préservée ;
2°/ La signature d’une motion de censure à l’initiative de députés du groupe majoritaire est un acte politique contraire au principe de solidarité et à la règle de l’unité de vote énoncés à l’article 5.4.3 des statuts du Parti socialiste. Il appartient éventuellement aux instances compétentes prévues à l’article 4.3.2 des statuts d’en tirer les conséquences qu’elles estiment utiles ;
3°/ La tentative de motion de censure ne doit pas être considérée comme une motion de censure.

La Haute Autorité Ethique recommande que :
4°/ Les conditions de la délibération collective au sein des différents organes du Parti socialiste soient améliorées pour permettre l’élaboration d’une position incontestable et éviter que de tels problèmes surgissent à nouveau, notamment grâce à la fixation d’un ordre du jour plus précis.

* * *

L'avis de la HAE

Avis de la Haute Autorité Ethique

Vu la Constitution de la République française, notamment ses articles 27 et 49 ;

Vu les statuts du Parti socialiste et le règlement intérieur du Parti socialiste ;

Vu la lettre en date du 12 mai 2016 du Premier secrétaire du Parti socialiste Jean-Christophe Cambadelis adressée à la Haute Autorité Ethique par laquelle, conformément à l’article 6.6 des statuts, il demande à celle-ci, dont il rappelle qu’elle est « garante de l’éthique des socialistes », d’« éclairer par son avis le Conseil national » à propos de la tentative de dépôt d’une motion de censure le 11 mai par 25 députés membres du Parti socialiste ;

Vu la tenue d’un Conseil national le 18 juin prochain ;

Vu les demandes d’explications sollicitées par la Haute Autorité Ethique par courrier individuel adressé le 18 mai aux 25 députés mis en cause ;

Vu les trois lettres en réponse, respectivement datées des 19 mai pour les députés Alexis Bachelay et Yann Galut, 23 mai pour la députée Isabelle Bruneau et 23 mai aussi, par lettre commune, pour les autres députés ;

Vu l’absence de réponse donnée aux demandes d’informations complémentaires formulées par la Haute Autorité Ethique relatives aux conditions d’adoption de la position du Parti socialiste, qui ont été adressées le 26 mai, d’une part, au Premier Secrétaire pour ce qui concerne le vote en bureau du Parti socialiste, et, d’autre part, à la Secrétaire générale du groupe SRC à l’Assemblée Nationale, Madame Pascale Charlotte, pour ce qui concerne la réunion, le 10 mai, du groupe SRC à l’Assemblée nationale lors du vote interne relatif au projet de loi visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actif-ve-s (ci-après « loi Travail ») ;

La Haute Autorité Ethique ayant délibéré les 26 mai et 9 juin 2016 ;

Considérant qu’il convient, à titre liminaire, de rappeler que la Haute Autorité Ethique n’est dotée d’aucun pouvoir juridictionnel ni même disciplinaire, qu’elle n’est pas davantage habilitée à prononcer de sanctions ;

Considérant qu’il entre dans les missions de la Haute Autorité Ethique de formuler des avis ou des recommandations sur la régularité des procédures et l’éthique des règles de fonctionnement observées par les instances comme par les membres du Parti socialiste et que c’est d’ailleurs bien à ce titre qu’elle a été saisie par le Premier secrétaire du Parti socialiste ;

Considérant que la question dont la Haute Autorité Ethique est saisie relève d’une articulation entre éthique de conviction et éthique de responsabilité, et qu’à ce titre elle se déclare compétente ;

Considérant que, au titre de la première, les parlementaires agissent suivant leurs convictions personnelles ; qu’au titre de la seconde, les parlementaires doivent se soumettre aux consignes du Parti auquel ils ont librement choisi de s’affilier ;

Considérant que la contestation dont la Haute Autorité Ethique est saisie relève aussi d’une articulation entre le principe du mandat représentatif et le principe de solidarité interne au groupe SRC, et plus précisément du rapprochement du principe de valeur constitutionnelle de la liberté de vote des parlementaires avec les principes fixés aux articles 5.4.1 et 5.4.3 des statuts du Parti socialiste relatifs à l’unité de vote au sein du groupe socialiste et à la solidarité entre les membres dudit groupe ;

Considérant que la liberté fondamentale de vote des parlementaires, qui est au fondement du système représentatif et de la séparation des pouvoirs, s’accomplit non seulement dans l’exercice de la compétence législative mais également dans celui de la compétence de contrôle du pouvoir exécutif ;

Considérant que, si le principe de liberté de vote ne saurait être entravé, un manquement au principe de solidarité peut légitimement se voir reprocher aux parlementaires par les organes compétents du Parti socialiste ;

Considérant que le dépôt d’une motion de censure, loin d’être un acte anodin, est au contraire, dans l’échelle des actes parlementaires, l’un des plus graves ;

Considérant qu’il ne s’agit pas d’un vote favorable ou défavorable à un projet ou à une proposition de loi, mais bien d’une volonté de renverser un gouvernement ;

Considérant que, selon la Constitution, une motion de censure est notamment possible lorsqu’un gouvernement choisit la procédure prévue à l’article 49, alinéa 3, de la Constitution pour faire adopter une loi ; qu’elle n’est recevable que si elle est signée par un dixième au moins des membres de l’Assemblée nationale ;

Considérant que, traditionnellement et par nature, la motion de censure est donc en principe déposée par l’opposition ;

Considérant que, en l’espèce, et de manière inédite, ce sont des députés du groupe majoritaire à qui il est reproché d’avoir pris l’initiative de vouloir déposer une motion de

censure ;

Considérant qu’il y a là un manquement évident au principe de solidarité sus-évoqué ;

Considérant cependant que la Haute Autorité Ethique relève que la tentative de dépôt d’une motion de censure a avorté, faute d’avoir réuni un nombre suffisant de signatures pour être déposée puisqu’elle n’a recueilli que 56 signatures sur les 58 requises et n’a pu être mise aux voix ;

Considérant en outre que, quand bien même elle aurait réuni ce nombre minimum suffisant, elle n’avait en pratique aucune chance d’aboutir pour la raison que, d’une part, ces députés avaient bien précisé qu’ils ne mêleraient pas leur voix à celles de l’opposition et que, d’autre part, même si l’opposition les avait rejoints, et à supposer qu’aucune des voix de l’opposition n’ait manqué, cela n’aurait pas suffi à obtenir la majorité absolue requise pour renverser le gouvernement, sauf à rallier d’autres députés de gauche ;

Considérant donc que cette tentative de dépôt d’une motion de censure doit s’interpréter comme un acte symbolique dont la mesure de la portée politique n’appartient pas à la Haute Autorité Ethique ;

Considérant que, dans leurs explications, les députés mis en cause en appellent à leur éthique de conviction en faisant valoir, notamment, que, d’une part, aucune délibération collective ne peut leur être opposée, la réunion du groupe SRC le 10 mai n’ayant été précédée d’aucun ordre du jour, de sorte que seuls 84 des 290 membres dudit groupe ont pris part au vote ; que, d’autre part, le projet de loi n’a fait l’objet d’aucun vote par le bureau du Parti socialiste ; qu’enfin, la disposition du projet de loi Travail qui a principalement motivé la tentative de dépôt de motion de censure, à savoir l’article 2, est contraire au texte de la motion majoritaire adoptée au Congrès de Poitiers en juin 2015 ;

Considérant que, faute de réponse apportée à ses demandes d’informations, il n’a pas été possible à la Haute Autorité Ethique de reconstituer de manière contradictoire les conditions de déroulement du vote au sein du groupe SRC du 10 mai, celle-ci n’ayant donc d’autre choix que de s’en tenir à la version relatée dans les courriers des députés mis en cause ;

Considérant que, conformément à ses avis antérieurs, la Haute Autorité Ethique est particulièrement attentive à l’éthique de délibération, seule à même d’être valablement opposée à ceux qui n’adhèrent pas à la décision prise ;

Considérant par conséquent que les conditions dans lesquelles le groupe SRC a délibéré sur le projet de loi Travail ne sont pas étrangères aux dysfonctionnements qui ont suivi ;

Considérant toutefois que cette explication est à relativiser car la signature d’une motion de censure contre un gouvernement issu de sa propre majorité n’exige pas qu’une délibération préalable ait rappelé qu’elle était un acte hostile à ce gouvernement ;

Considérant qu’il conviendrait donc que des mesures soient prises pour que les délibérations puissent à l’avenir se dérouler dans de meilleures conditions.

En conséquence, à l’unanimité moins deux abstentions, la Haute Autorité Ethique

est d’avis que :

1°/ La liberté de vote des parlementaires, qui est au fondement du système représentatif et de la séparation des pouvoirs, doit être préservée ;

2°/ La signature d’une motion de censure à l’initiative de députés du groupe majoritaire est un acte politique contraire au principe de solidarité et à la règle de l’unité de vote énoncés à l’article 5.4.3 des statuts du Parti socialiste. Il appartient éventuellement aux instances compétentes prévues à l’article 4.3.2 des statuts d’en tirer les conséquences qu’elles estiment utiles ;

3°/ La tentative de motion de censure ne doit pas être considérée comme une motion de censure.

La Haute Autorité Ethique recommande que :

4°/ Les conditions de la délibération collective au sein des différents organes du Parti socialiste soient améliorées pour permettre l’élaboration d’une position incontestable et éviter que de tels problèmes surgissent à nouveau, notamment grâce à la fixation d’un ordre du jour plus précis.

A Paris, le 13 juin 2016,

Retour sur la décision de la Haute Autorité Ethique du Parti Socialiste concernant la motion de censure de gauche
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