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12 juillet 2016 2 12 /07 /juillet /2016 15:47

Emmanuel Maurel était interviewé par son collègue député européen Guillaume Balas sur une initiative qu'il a lancée il y a quelques semaines : l’Europe des projets. Pour rappel, vous pouvez consulter les premières propositions déjà en ligne sur le site www.europedesprojets.eu.

Guillaume Balas et Emmanuel Maurel, députés socialistes européens, au Parlement européen en juillet 2016

Guillaume Balas et Emmanuel Maurel, députés socialistes européens, au Parlement européen en juillet 2016

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11 juillet 2016 1 11 /07 /juillet /2016 14:52

communiqué de la délégation socialiste française au Parlement Européen - 11 juillet 2016

Les eurodéputés socialistes et radicaux ont condamné, dès vendredi dernier, le recrutement de M. Barroso comme président non-exécutif des activités internationales de Goldman-Sachs (http://www.deputes-socialistes.eu/de-quoi-barroso-est-il-le-nom/). M Barroso sera également conseiller auprès du groupe bancaire, notamment en charge du Brexit. Nous appelons Goldman-Sachs à renoncer à cette embauche.

Parce qu’un tel recrutement est indécent, indigne et honteux, la délégation socialiste française au Parlement européen va entreprendre toutes les démarches pour le rendre impossible.

D’abord, il s’agit d’une violation claire et manifeste de l’article 245 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne[1] et du serment fait par M. Barroso le 3 mai 2010[2]Nous demandons ainsi la déchéance du droit à pension de M. Barroso ainsi que des autres avantages en tenant lieu. M. Barroso a déjà coûté trop cher à l’Europe.

Ensuite, nous demandons une révision du code de conduite pour porter à une législature – 5 ans – les règles anti-pantouflage, qui, à ce jour, ne courent que pendant les 18 mois suivant la fin du mandat des commissaires.

Enfin, si ce recrutement devait malgré tout se concrétiser, nous exigeons une traçabilité intégrale d’absolument tous les contacts entre M. Barroso et ses équipes avec des membres, des fonctionnaires et des représentants de la Commission européenne, du Parlement européen, et du Conseil. Au premier manquement, des sanctions – comme le boycott de Goldman Sachs par les Etats membres – devraient être envisagées.

En conclusion, nous lançons un avertissement à Goldman-Sachs : l’objectif affiché par ce recrutement est de contourner la perte du « passeport européen » pour les banques situées au Royaume-Uni suite au Brexit. Goldman-Sachs peut bien dépenser des milliards en lobbying comme Philip-Morris :pour qu’une banque basée au Royaume-Uni puisse exercer son métier dans les différents pays de l’Union après le Brexit, elle devra respecter l’ensemble de la législation européenne en matière bancaire, et à la seule condition que son pays paye pour un tel accès au marché européen. Le Parlement européen ne devrait accepter aucune autre formule.

 

[1] Article 245

Les membres de la Commission s’abstiennent de tout acte incompatible avec le caractère de leurs fonctions. Les États membres respectent leur indépendance et ne cherchent pas à les influencer dans l’exécution de leur tâche.

Les membres de la Commission ne peuvent, pendant la durée de leurs fonctions, exercer aucune autre activité professionnelle, rémunérée ou non. Ils prennent, lors de leur installation, l’engagement solennel de respecter, pendant la durée de leurs fonctions et après la cessation de celles-ci, les obligations découlant de leur charge, notamment les devoirs d’honnêteté et de délicatesse quant à l’acceptation, après cette cessation, de certaines fonctions ou de certains avantages. En cas de violation de ces obligations, la Cour de justice, saisie par le Conseil, statuant à la majorité simple, ou par la Commission, peut, selon le cas, prononcer la démission d’office dans les conditions de l’article 247 ou la déchéance du droit à pension de l’intéressé ou d’autres avantages en tenant lieu.

 

[2] http://europa.eu/rapid/press-release_IP-10-487_fr.htm

José Manoel Durao Barroso

José Manoel Durao Barroso

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8 juillet 2016 5 08 /07 /juillet /2016 10:32
#CETA : la libéralisation comme unique réponse à la crise agricole

Publié le 7 juillet 2016, par Emmanuel Maurel, député S&D

La Commission européenne vient de qualifier l’Accord UE-Canada (le « CETA ») d’« accord mixte ». Ce revirement, inattendu, est avant tout le fruit de la mobilisation grandissante de ceux (société civile, parlementaires européens, gouvernements et parlements nationaux) qui ont mis en garde Jean-Claude Juncker contre toute tentative de passage en force. L’entrée en vigueur du CETA dépendra de la double-ratification du Parlement européen et des parlements nationaux, mais pourra être mis en œuvre à titre provisoire avant le vote de ces derniers.

Les débats procéduraux désormais derrière nous, il est temps de s’intéresser à ce que contient véritablement l’accord CETA, présenté par beaucoup comme un « anti-TAFTA ». Définitivement conclu depuis le 29 février dernier. Il devrait être signé par les États membres de l’Union européenne en octobre, puis soumis à la ratification des assemblées, Parlement européen en tête.

L’accord UE-Canada découle en réalité de la même logique que le TAFTA : il ne s’agit pas uniquement de démanteler les droits de douanes et les barrières au commerce, mais également d’harmoniser les normes des deux côtés de l’Atlantique. C’est également ce que l’on appelle « un accord vivant », qui va enclencher une dynamique permanente de coopération réglementaire entre l’UE et le Canada.

Par ailleurs, le CETA devrait entrer en vigueur dans le contexte que tout le monde connaît – celui d’une profonde crise de l’agriculture française, à la fois conjoncturelle et structurelle, imputable à plusieurs facteurs. D’un côté, la crise de surproduction mène à une chute des prix dans un certain nombre de secteurs, comme le secteur laitier. De l’autre, l’orientation combinée de la PAC et de la politique commerciale de l’UE soumet l’agriculture européenne à une dérégulation et une libéralisation excessives – sur les plans interne comme externe.
Le CETA ne constitue en aucun cas une solution à cette double-crise. Au contraire, il ne peut que renforcer les tendances actuelles et affaiblir le modèle agricole français, l’agriculture familiale et paysanne.

La Commission ne sait prôner que la libéralisation et la dérégulation

Libéraliser davantage le marché européen, au plan interne comme au plan externe, est l’unique solution proposée par la Commission européenne à la crise agricole. Ce n’est pas nouveau : l’exécutif européen – soutenu par bon nombre d’États membres – a pour seule obsession d’augmenter les exportations, fût-ce au détriment du marché intérieur européen.

C’est encore et toujours cette logique qui préside au démantèlement des droits de douane sur les produits agricoles prévu dans le CETA. Côté européen, les droits de douane seront éliminés sur 92.2% des lignes tarifaires agricoles, et même sur 93.8% d’entre elles sept ans après l’entrée en vigueur de l’accord. Le marché européen sera totalement ouvert aux produits laitiers canadiens, sans droits de douane. Même si les importations occasionnées par cette nouvelle ouverture représenteront une portion négligeable – moins de 1% des importations européennes en provenance du Canada concernent le lait et les produits laitiers – le signal envoyé aux professionnels de la filière n’est pas le bon, alors que les prix dégringolent sur le marché intérieur et que le Canada a, de son côté, relativement préservé son secteur laitier dans la négociation.

Les droits de douane seront supprimés sur 8 000 tonnes de maïs doux et 100 000 tonnes de blé canadiens. Mais surtout, le Canada va pouvoir exporter en Europe 65 000 tonnes de bœuf et 75 000 tonnes de porc supplémentaires par an. Même si la Canada a, pour l’instant, des difficultés à remplir ses quotas d’exportation, ces nouveaux contingents seront effectifs 7 ans après l’entrée en vigueur de l’accord, et les autorités canadiennes auront largement le temps de bâtir des filières sans hormone (pour le bœuf) et sans ractopamine (pour le porc) uniquement destinées à l’exportation. Elles ont évidemment prévu de le faire.

Les secteurs bovin et porcin sont pourtant des secteurs agricoles sensibles et ces nouveaux contingents, même s’ils paraissent modestes, peuvent entraîner des bouleversements considérables pour des filières entières. Or, aucun mécanisme de sauvegarde n’est prévu pour suspendre le volet agricole du CETA en cas de déséquilibre sur le marché européen. Le Parlement wallon, dans une récente résolution, avait appelé à l’introduction dans le CETA d’une clause dite « d’exception agricole » permettant de mettre en pause l’accord en cas de difficulté d’absorption du marché européen. La Commission a choisi une logique complètement inverse : le CETA prévoit une clause « standstill » (ou « statu quo ») qui rend toute limitation des quotas d’exportation impossible.

Le CETA ou la victoire annoncée de l’agriculture intensive

Les modèles agricoles européen et canadien vont entrer en opposition frontale, ce dont peu dans les institutions européennes semblent s’émouvoir. On pourrait en effet penser que le modèle agricole canadien est plus proche du modèle européen que du modèle américain. C’était peut-être le cas il y a quelques décennies mais, désormais, c’est tout le contraire. La conclusion de l’ALENA (la grande zone de libre-échange nord-américaine), au milieu des années 1990, a complètement transformé les structures agricoles et industrielles canadiennes, les calquant sur le format états-unien.

Les standards environnementaux et sanitaires du Canada se sont affaissés. Par exemple, les normes applicables aux produits chimiques sont bien mois protectrices que les normes européennes fixées par le règlement REACh ; il en va de même pour les règles applicables à l’utilisation des hormones de croissance dans l’agriculture d’élevage. Le principe de précaution est, par ailleurs, étranger aux Canadiens, qui sont désormais les troisièmes exportateurs mondiaux d’OGM.

De manière plus générale, les Canadiens ont récemment bouleversé leurs techniques d’élevage et de culture. La production agricole s’est concentrée entre les mains de grandes firmes agro-industrielles. Ce pays de petits fermiers s’est transformé en champion de l’élevage intensif, avec des standards minimaux en matière de bien-être animal. Les cultures céréalières sont à 50% destinées à l’exportation, à des prix ultra-compétitifs.
Dans ce contexte, le risque n’est pas tant que le CETA aligne les normes européennes sur les normes canadiennes – cette possibilité existe néanmoins – mais surtout que deux modèles très différents entrent en confrontation directe, avec pour seul arbitre le niveau de compétitivité-prix des deux continents.

À ce jeu, comment les modèles d’élevage familial et respectueux de l’environnement pourraient rivaliser avec les feedlots (fermes industrielles) canadiens, capables d’effectuer des économies d’échelle inégalables ? Et surtout, voulons-nous vraiment faire entrer en rivalité ces deux modèles ? La crise actuelle nous oblige à repenser notre politique commerciale : ne devrions-nous pas plutôt nous distancier de cette course à l’exportation pour parier sur la compétitivité hors-prix, sur une agriculture de qualité, rémunératrice, fondée sur la proximité et les circuits courts ? Ce sont des questions que nous devrions tous nous poser.

Des normes européennes sanctuarisées ?

À ce stade, même avec le texte du CETA sous les yeux, il est difficile de savoir si les normes européennes seront entièrement sauvegardées. La Commission européenne s’est en tout cas engagée à ce que les négociations n’affaiblissent aucune réglementation sanitaire européenne.

Toutefois, si on se penche attentivement sur le Chapitre 5 du CETA, consacré aux mesures sanitaires et phytosanitaires, on s’aperçoit que la logique prédominante est celle de la reconnaissance mutuelle, fondée sur des données « objectives » donc scientifiques. Il est permis de se demander si une telle approche est compatible avec le principe de précaution, principe qui n’est d’ailleurs mentionné dans aucun chapitre du CETA.

Ce qui est certain, en revanche, c’est que le CETA a été conçu pour être un « accord vivant » : il prévoit un forum de coopération réglementaire, ouvert aux autorités canadiennes et européennes pour qu’elles s’accordent sur de futures mesures d’harmonisation. Le principal risque est que ce processus dissuade les parties de légiférer en matière sanitaire ou environnementale, par crainte de faire diverger les législations respectives. C’est ce qu’on appelle le « chill effect ». Sans parler d’OGM, de bœuf aux hormones ou de porc à la ractopamine, on peut se demander si l’Union européenne bénéficiera d’une liberté totale pour renforcer – si elle le décide ! – ses législations sur les pesticides ou les perturbateurs endocriniens.

Au-delà de ce forum de coopération réglementaire, l’un des points durs du CETA concerne le nouveau système de règlement des différends entre investisseurs et États. L’ICS a remplacé l’ancien système d’ISDS, mais continue de sérieusement entraver le droit des États à légiférer. Des multinationales, au titre de leurs « attentes légitimes » et au nom d’un « traitement juste et équitable », pourront poursuivre des États, à qui il incombera de prouver que leurs décisions ne sont pas « arbitraires » ou « manifestement excessives », y compris en matière de protection de la santé ou de l’environnement. Selon une coalition d’ONG, l’offensive de Philip Morris poursuivant l’Australie ou l’Uruguay pour leurs politiques anti-tabac aurait été parfaitement possible dans le cadre du CETA.

Des appellations d’origine (partiellement) protégées

Les promoteurs du CETA estiment que le traité instaurera nouvelles règles pour encadrer une mondialisation qui ne serait plus uniquement synonyme de mise en concurrence généralisée. Ils se réfèrent pour cela à la protection des appellations d’origine (AO), prévue dans le chapitre 20 du traité. C’est en effet un élément clef de ce que le Secrétaire d’État français au commerce, Matthias Fekl, appelle la « diplomatie des terroirs », un instrument de promotion de la qualité et de la compétitivité hors prix de l’agriculture française et, de plus, un moyen de soutenir concrètement les petits producteurs. En matière commerciale, c’est un « intérêt offensif » de l’Union européenne, car il s’agit de protéger des labels et d’empêcher leur utilisation abusive dans des pays qui ne reconnaissent que des marques.

Dans le CETA, le résultat est correct, mais pas totalement satisfaisant. 145 indications géographiques – dont 42 AOC et AOP françaises – sont protégées, comme le roquefort, le jambon de Bayonne ou le pruneau d’Agen. Toutefois ce chiffre représente uniquement 10% des 1400 « IG » recensées au niveau intra-européen. Sur les 42 indications géographiques françaises, certaines manquent à la liste. Plusieurs fromages basques, par exemple, ne seront pas protégés dans le CETA, alors même qu’ils sont présents sur le marché canadien (comme l’Ossau-Iraty). Par ailleurs, plusieurs d’entre elles ne bénéficient pas d’une protection totale : l’IG « canard à foie gras du Périgord » est officiellement protégée, mais coexistera avec la marque déposée canadienne « foie gras » sur le marché canadien.

Ces maigres satisfactions sont bien insuffisantes pour masquer la nature profondément déstabilisatrice du CETA. Tout indique en effet que l’Accord avec le Canada ne constitue en aucun cas un anti-TAFTA : CETA et TAFTA sont deux faces de la même stratégie libérale de la Commission européenne, plus que jamais persuadée que la dérégulation est la condition du retour de la croissance. En vérité, non seulement le CETA s’est négocié au prix d’un renoncement démocratique et d’une fragilisation de nos normes, mais il ferait également entrer en collision frontale deux modèles agricoles radicalement opposés.

Nous n’y avons pas intérêt.

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29 juin 2016 3 29 /06 /juin /2016 09:50
> Pour une Europe des Projets - initiative d'Emmanuel Maurel, député européen
Chers lecteurs,

Je souhaite vous informer d'un projet modeste que j'ai souhaité mettre sur la table, dans le contexte, plus large, de réflexion générale sur l'avenir de l'Europe.

J'ai intitulé cette initiative « L'Europe des Projets ». Elle découle d'un constat simple : l'Europe est en panne et, si elle veut redémarrer, doit multiplier les preuves de son utilité aux citoyens. Elle doit redonner du sens à son existence en gagnant d'abord le débat du contenu: c'est l'Europe de l'intervention, avant - au sens temporel - celle de l'intégration ; l'Europe de la relance avant la relance de l'Europe.

Je veux donc avancer une quinzaine de propositions d'actions très concrètes, dans divers domaines, que l'Europe peut et doit entreprendre pour réconcilier les peuples avec le projet européen. Vous pouvez d'ores et déjà accéder à mes deux premières propositions sur le site www.europedesprojets.eu. Aucune d'entre elle n'a la prétention d'atteindre une perfection technique ou juridique ; il ne s'agit pas non plus d'éviter l'indispensable débat institutionnel : l'idée est davantage de rendre l'Europe capable de lancer de nouveau de grands projets fédérateurs. Il s'agit enfin d'une démarche résolument collaborative.

Je serais très heureux d'entendre votre retour sur cette initiative.
 
Emmanuel MAUREL
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24 juin 2016 5 24 /06 /juin /2016 11:26

A chaud, et avant de plus longs développements, quelques points relatifs au Brexit.

1) c'est toujours bien de demander son avis au peuple. Respecter le verdict du peuple souverain, c'est la moindre des choses (ca parait évident mais ce n'est hélas pas toujours le cas, cf. 2005).

2) il n'y pas d'explication univoque d'un vote référendaire. Bien sûr, il y a des xénophobes qui ont voté pour le Brexit, mais aussi des progressistes. Evidemment, il serait absurde de considérer que les Anglais ont voté contre "l'Europe libérale". Mais il est incontestable qu on retrouve les mêmes fractures (territoriales, de classes, de générations) qu'à l'occasion des autres consultations sur l'Europe, vécue comme insuffisamment protectrice face à une mondialisation (dans toutes ses dimensions : économique, sociale, migratoire, etc.) qui fracasse les repères, crée de l'insécurité, etc.

3) rien de pire que de résumer le débat de l'après Brexit à une confrontation entre méchants "populistes" (si on pouvait arrêter une fois pour toutes avec ce terme !) et gentils "pro européens". Il y a une grande diversité de points de vue chez les partisans de l'unification politique du continent, dont je suis. En gros, je ne me reconnais pas plus dans les idées de Farage que dans celles de Schaüble.

4) C'est une évidence que l'Europe (dont, rappelons le toujours, l'essentiel de la législation est décidée par les États membres eux-mêmes, qui font mine de regretter, de retour chez eux, ce qu'ils ont décidé à Bruxelles !) donne l'impression, depuis au moins deux décennies, de se construire en dépit des peuples, voire contre les peuples. Si "refondation" il doit y avoir, elle ne saurait être que profondément démocratique. Et ça, c'est pas gagné.

5) le Brexit appelle une réaction forte des dirigeants européens. Mais il faut de défier de toute précipitation institutionnelle. Pour réconcilier les Européens avec une Union qui apparaît au mieux comme une coalition impuissante au pire comme un consortium post démocratique au service exclusif des détenteurs du capital, il faudra autre chose que la promesse d'un nouveau "saut fédéral" qui, à ce stade, sonne comme une fuite en avant.

6) Dès lors, la solution n'est certainement pas dans un renforcement de la coordination des politiques par des instances techniques incapables de s'émanciper de l'idéologie dominante. Il faut préférer l'Europe des projets à celle des règles. Il faut privilégier la relance de l'intervention à celle de l'intégration. Ne mettons pas la charrue avant les bœufs : avant toute avancée institutionnelle, il faut revoir les priorités de l'UE. C'est là que la France a un rôle décisif à jouer, pourvu qu'elle soit prête à une franche explication avec ses partenaires, à commencer par l'Allemagne.

7) après avoir longtemps été notre ennemie héréditaire, la Grande Bretagne a été notre alliée fidèle, fière et superbe. J'avais juste envie de dire à quel point j'aimais et admirais ce peuple !

Emmanuel Maurel, député européen socialiste

Emmanuel Maurel - Après le Brexit, l'Union européenne doit retrouver ses fondamentaux si elle veut survivre
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17 juin 2016 5 17 /06 /juin /2016 11:28
TAFTA / Chine / Europe : retrouvez l'entretien d'Emmanuel Maurel dans "L'arène nue"

Retrouvez ci-dessous l’interview en deux parties donnée par Emmanuel Maurel à Coralie Delaume, consacrée au Traité transatlantique (TAFTA) - A retrouver sur le blog "L'Arène Nue" de Coralie Delaume

Commençons par un sujet qui inquiète et mobilise de plus en plus de monde : le TAFTA. On croyait en avoir fini avec le risque de voir se mettre en place des juridictions arbitrales privées, l’un des éléments les plus controversés des négociations transatlantiques. Or Le Monde affirme avoir eu accès à des documents prouvant que la France est à l’avant-garde de la promotion de ces tribunaux. Pourtant, le gouvernement français n’a de cesse de dire publiquement qu’ils ne sont « ni utiles, ni nécessaires ». Y a-t-il un double discours de la France sur ce point ? 

Non, ce n’est pas le cas. Il est vrai que dans le cadre du TAFTA – mais également du CETA, l’accord de libre-échange avec la Canada qui doit être ratifié par le Parlement européen avant la fin de l’année – était prévu un système qui s’appelle l’ISDS (Investor-State Dispute Settlement), qui a vocation à régler les différends entre les entreprises et les États dans le cadre de juridictions d’arbitrage privées. Il faut savoir que de tels mécanismes existent depuis les années 1950, et dans tous les accords de libre-échange. Aujourd’hui, il existe environ 3000 ISDS dans le monde, et la France en a signé plusieurs centaines.

Ces structures ont été mises en place au début car lorsqu’on passait des accords avec des pays en voie de développement, on craignait beaucoup – surtout les investisseurs – les effets de l’insécurité juridique qui y régnait. Les changements politiques intempestifs pouvaient rendre l’environnement économique très instable.

Mais cela n’est plus adapté, pour deux raisons. D’abord parce que la mise en œuvre du droit commercial a globalement progressé partout. Ensuite et surtout parce qu’existent désormais des multinationales avec des forces de frappe considérables, qui se sont servi de ces ISDS pour attaquer les États et demander des sommes folles à la moindre évolution des politiques publiques. L’exemple le plus connu et le plus caricatural est celui de Philip Morris attaquant l’Australie ou l’Uruguay parce que les autorités de ces pays avaient décidé de passer au paquet neutre pour l’Australie (ce qui obligeait le cigarettier à retirer son logo de ses paquets), ou d’accompagner les messages sanitaires d’avertissements illustrés sur les paquets pour l’Uruguay…

En somme, avec ce système d’ISDS, un État qui veut mettre en place une législation, y compris pour des raisons de santé publique comme dans votre exemple, peut être attaqué en justice….

Oui. Avec ce type d’outils, une entreprise installée dans un État suite à un traité de libre-échange et qui s’estime lésée par un changement de la législation peut attaquer l’État en question et demander réparation. Il existe ainsi de nombreux arbitres internationaux privés – le plus souvent des avocats d’affaire rémunérés à prix d’or – mis en place par des traités de libre-échange, et qui rendent leurs jugements partout dans le monde.

Ce qui a changé dans la période récente, c’est que les multinationales se sont mises à réclamer des sommes considérables, suite à des décisions parfaitement démocratiques. Par exemple, lorsque des gouvernements de gauche, en Amérique de Sud, décident de nationaliser l’exploitation des hydrocarbures, de grandes compagnies pétrolières conduisent des offensives très dures, arguant qu’on les privait à la fois de profits immédiats et de profits à venir.

Or quand on négocie le TAFTA avec les États-Unis, on sait très bien quels interlocuteurs on a en face. Ce sont toutes les plus grandes entreprises mondiales, avec des batteries d’avocats excessivement procéduriers, et un rapport à la justice privée très spécifique.

Et ces entreprises pourraient très bien attaquer la France si une loi, une politique publique, venait à leur déplaire ?

C’est bien sûr une possibilité. C’est pourquoi le Secrétaire d’État au commerce extérieur Matthias Fekl, après une très forte mobilisation de l’opinion publique, des ONG et des parlementaires européens, a convenu que la perspective d’un ISDS était inacceptable. En plus c’est inutile : les États-Unis sont quand même un État moderne, avec une justice commerciale qui fonctionne ! On travaille donc désormais à imaginer un nouveau mécanisme de règlement des conflits, qui offre la possibilité d’un appel, et des juges qui soient plus impartiaux.

Qu’en est-il de la révélation du Monde, alors ?

Ce n’en est pas vraiment une. De nombreux traités de libre-échange ont été signés dans les années 1990, notamment avec les pays d’Europe centrale et orientale qui n’étaient pas encore dans l’Union. À présent que ces pays ont intégré le marché intérieur européen, la Commission s’est engagée dans une démarche d’abrogation des accords bilatéraux intra-européens qui contiennent des ISDS. Les États-membres ont été appelés à se prononcer, mais rien n’est encore décidé.

Ce que Le Monde a révélé, c’est ce qu’on appelle un « non-papier ». Il s’agit d’une sorte de brouillon émis par des technos. Lorsqu’ils commencent à discuter, ils couchent sur un document toutes les hypothèses envisageables, mais ce n’est absolument pas décisionnel. Il serait faux de considérer qu’il s’agit là de la position officielle de la France, et que le gouvernement tient sur cette affaire d’ISDS un double discours.

On entend de plus en plus souvent parler du TAFTA dans les médias alors que ce n’était pas le cas au début. Le sujet intéresse. Pour autant, cet accord a-t-il vraiment des chances d’être conclu ? Par ailleurs, qui des américains ou des européens le souhaite le plus ? On prête aux États-Unis un goût prononcé pour le libéralisme économique, mais en l’occurrence, on dirait que c’est surtout l’Europe qui souhaite l’accord.

Le TAFTA est plutôt une idée européenne en effet, en tout cas au départ. C’est la Commission Barroso qui a ouvert ce débat, en partant du constat d’une croissance faible et d’un niveau de chômage élevé, et parce que les économistes de la Commission sont incapables d’imaginer autre chose que de la dérégulation pour y remédier. Ils ont donc recherché quel était le grand marché qui pourrait tirer la croissance européenne, et dont le modèle serait proche du nôtre. La Commission s’est naturellement tournée vers les États-Unis, d’autant que José Manuel Barroso est lui-même un atlantiste éperdu.

Le problème dans cette histoire, c’est qu’il y a très peu de barrières douanières entre les États-Unis et l’Europe. Le TAFTA est en quelque sorte un traité de libre-échange « nouvelle génération ». La vraie question n’y est plus celle de l’abaissement des tarifs douaniers mais celle de l’harmonisation des normes.

Le TAFTA est donc une idée européenne. Et les États-Unis, qu’on-t-ils à gagner dans l’affaire ?

C’est très simple. L’idée les a enthousiasmés car Obama tente de mettre en place une stratégie « en pinces » dirigée contre la Chine.

L’émergence rapide de la Chine, la perspective qu’elle puisse un jour imposer ses normes commerciales partout inquiète légitimement les États-Unis. Ils cherchent à la prendre en tenailles. Pour ce faire, ils ont d’abord signé le traité transpacifique (TPP : Trans-Pacific Partnership) avec une douzaine de pays. Dans un second temps, ils espèrent signer le traité transatlantique avec l’Europe. La grande idée géopolitique d’Obama, c’est de coincer ainsi la Chine entre deux entités commerciales puissantes.

L’accord transpacifique est donc signé depuis le mois de février …

Il est signé mais pas encore ratifié, pour la bonne raison qu’Obama ne dispose pas de la majorité nécessaire au Sénat. Les sénateurs du Midwest, et plus généralement ceux des États américains producteurs de viande bovine, considèrent que l’accord est insuffisant, et offre trop peu de possibilités d’exportation de viande.

Par ailleurs, les candidats à la présidentielle américaine, que ce soit Trump, Sanders ou même Clinton, émettent de forts doutes sur le bien-fondé de cet accord…. Bref, l’administration Obama rencontre des difficultés avec le TPP qui était pourtant sa priorité, bien plus que le TAFTA.

Lequel n’est donc pas prêt de voir le jour, donc.

On est en certes au 13ème round de négociations, mais il est vrai que ça n’avance guère. Cela tient au contenu du projet d’accord. Il contient d’une part des perspectives d’harmonisation des normes techniques (uniformisation des prises électriques, des pare-chocs de voitures, etc), qui peuvent tout à fait se justifier et qui permettraient de lever certains obstacles à l’échange.

Mais il contient aussi des points bloquants. Certaines questions posent problème, parce qu’elles sont existentielles pour les États-Unis, et relèvent en même temps des « intérêts offensifs » de l’Europe. Je pense notamment à la question des marchés publics américains.

Contrairement à ce que l’on entend souvent, les États-Unis ne sont pas un pays plus libéral ou libre-échangiste que les autres. Ils sont avant tout pragmatiques. Dans ce cadre, leurs marchés publics demeurent très peu ouverts comparés aux marchés publics européens, qui le sont à 95 %. Quand des appels d’offre ont lieu, que ce soit au niveau fédéral ou au niveau des États fédérés, une grosse portion est réservée aux entreprises locales en vertu du Buy American ActC’est un vieux texte (1933) mais il est encore en vigueur. Or « l’intérêt offensif » de l’Europe, dans ce cadre, c’est que les entreprises européennes puissent avoir accès aux grands marchés publics américains. Ça, les Américains s’y refusent.

Ils sont donc très protectionnistes !
Ils sont soucieux de leurs intérêts, et se donnent les moyens de les faire prévaloir. L’Europe, c’est précisément le contraire. Exemple assez significatif du fonctionnement de l’Union européenne aujourd’hui : l’affaire des panneaux photovoltaïques. Au début des années 2000, les Européens commencent à mettre en place une industrie photovoltaïque, qui marche très bien. L’Europe représente 70% des nouvelles installations photovoltaïques en 2011 et encore 59% en 2012. Puis arrivent les Chinois, qui inondent le marché avec des panneaux à très bas coûts. Les Européens tergiversent, lancent une enquête pour savoir s’il convient ou pas d’appliquer des mesures antidumping. L’affaire prend dix-huit mois. A la fin, c’est bien simple : il n’y a plus de photovoltaïque européen. Toute cette industrie a coulé.

Aux État-Unis, une chose pareille n’est pas concevable. Quand on y soupçonne une situation de concurrence déloyale, les enquêtes durent deux mois. Au terme de la procédure et si le dumping est avéré, la mise en place de taxes est immédiate. Des taxes douanières qui peuvent croître brutalement de 200, 250, parfois 300 %.

Vous dites que les États-Unis sont pragmatiques. L’Union européenne, elle, est donc engluée dans l’idéologie ?

Ce n’est pas nouveau. Le libre-échange poussé à l’extrême est dans l’ADN de la construction européenne. Et nos industries en ont énormément souffert. Un débat a lieu en ce moment au sein de l’UE sur la modernisation de nos instruments de défense commerciale, et sur la question de savoir si l’on ne pourrait pas durcir nos mécanismes antidumping. Mais un certain nombre d’État membres, tels la Grande-Bretagne ou les Pays-Bas, dont l’économie est historiquement très extravertie, y rechignent vivement.

Revenons au TAFTA, et à ces négociations qui avancent peu. Vous avez évoqué la question des marchés publics américains comme point bloquant majeur. Quels sont les autres ?

L’autre point d’achoppement relève des « intérêts défensifs » de l’UE. Il s’agit de la question des indications géographiques. En Europe, nous avons beaucoup de produits d’appellation d’origine contrôlée ou protégée. Pour nous, un produit est lié à un territoire et à un savoir-faire particulier : la feta, le parmesan, le roquefort ne peuvent pas être produits partout. Au États-Unis, cette logique est inexistante. On y fabrique du brie dans le Wisconsin et du parmesan dans le Midwest sans aucun problème. Or si l’on accepte d’entrer dans leur logique, cela représente un danger considérable pour certaines de nos productions.

Enfin, parmi les points bloquants figure la question de l’harmonisation des normes, notamment alimentaires et sanitaires. Les Européens ont beaucoup à craindre de l’harmonisation des premières avec celles des États-Unis. On sait par exemple que les Américains nourrissent tout leur bétail au OGM, lavent leurs poulets au chlore etc. Mais il existe aussi des réticentes dans l’autre sens. Par exemple, les États-Unis demandent aux Européens d’être moins laxistes sur la fabrication des cosmétiques, qu’ils considèrent pour leur part comme des produits pharmaceutiques et qu’ils surveillent de très près.

Au final, on ne peut être certain que le TAFTA aboutira. Si tout se déroulait normalement, la ratification n’interviendrait pas, de toute façon, avant 2019 ou 2020. Les rounds de négociation sont très longs car des sujets d’une très grande diversité et technicité sont abordés. Une fois un éventuel pré-accord conclu, la phase de relecture juridique puis de traduction durera au moins un an. Viendra ensuite la phase de ratification par l’Union européenne et par les États-membres.

Les États seront donc consultés ? Les Parlements nationaux voteront ?

Oui car le TAFTA est en principe conçu pour être un accord mixte, qui devra faire l’objet d’une double ratification. Ce n’est pas le cas de tous les accords, et les traités sont sur ce point quelque peu ambigus. Le Traité sur le fonctionnement de l’Union (TFUE) indique que c’est au Parlement européen de ratifier les accords de libre-échange. C’est d’ailleurs un progrès considérable introduit par le traité de Lisbonne. Le Parlement a désormais le droit de vie ou de mort sur ce type d’accords. Avant, c’est le Conseil qui les validait à la suite de débats a minima.

Le traité précise ensuite que certains domaines peuvent être de la compétence exclusive de l’Union, cependant que d’autres relèvent d’une compétence partagée avec les États. Dans le second cas, le niveau de ratification est double. Ce sera très vraisemblablement le cas pour le TAFTA.

Retrouvez la deuxième partie de l’interview donnée par Emmanuel Maurel à Coralie Delaume - A retrouver sur L’arène nue, le bog de Coralie Delaume

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Les États seront donc consultés au sujet du TAFTA ? Les Parlements nationaux voteront-ils ?

Oui car le TAFTA est en principe conçu pour être un accord mixte, qui devra faire l’objet d’une double ratification. Ce n’est pas le cas de tous les accords, et les traités sont sur ce point quelque peu ambigus. Le Traité sur le fonctionnement de l’Union (TFUE) indique que c’est au Parlement européen de ratifier les accords de libre-échange. C’est d’ailleurs un progrès considérable introduit par le traité de Lisbonne. Le Parlement a désormais le droit de vie ou de mort sur ce type d’accords. Avant, c’est le Conseil qui les validait à la suite de débats a minima.

Le traité précise ensuite que certains domaines peuvent être de la compétence exclusive de l’Union, cependant que d’autres relèvent d’une compétence partagée avec les États. Dans le second cas, le niveau de ratification est double. Ce sera très vraisemblablement le cas pour le TAFTA.

N’est-ce pas également le cas pour le petit frère du TAFTA, l’accord de libre-échange avec le Canada appelé CETA ?

Première chose : il n’est pas sûr que le CETA soit le petit frère du TAFTA. Certains – le gouvernement français notamment – considèrent au contraire que c’est l’anti-TAFTA. Pour plusieurs raisons. Les Canadiens sont allés assez loin dans l’ouverture de leurs marchés publics. Ils reconnaissent une partie des indications géographiques européennes (AOP, AOC). Au titre du règlement des différends, ils ont accepté un mécanisme qui n’est pas l’ISDS mais l’ICS (Investment Court System). Il s’agit de cette autre forme de juridiction que j’évoquais tout à l’heure, qui se compose de véritables juges et non plus d’avocats d’affaire, et qui prévoit des possibilités de faire appel.

Cela dit, la logique de l’ICS demeure semblable à celle de l’ISDS : les investisseurs étrangers – contrairement aux investisseurs nationaux – sont en mesure de chercher réparation auprès d’un Tribunal ad hoc pour des décisions prises démocratiquement par des États souverains, dont les systèmes juridiques sont parfaitement fonctionnels. Il ne faut donc pas surestimer la rupture introduite par le nouveau système ICS. Une étude menée par une coalition d’ONG aboutit d’ailleurs à la conclusion qu’aucune de ces nouvelles dispositions n’aurait empêché Philip Morris de poursuivre l’Australie ou l’Uruguay pour leur politique de santé publique.

En somme, c’est loin d’être parfait et des zones d’ombre existent. Pour autant, il y a bien moins de débats et de mobilisation contre le CETA que contre le TAFTA. On peut d’ailleurs le regretter dans la mesure où la ratification du CETA par le Parlement européen doit intervenir dès la fin de l’année 2016….

Oui mais il n’est pas certain que les États-membres le ratifient. Il semble par exemple que la Belgique, notamment parce que la Wallonie s’y oppose, aura du mal à procéder à la ratification….

Oui, mais se pose alors une question. Y aura-t-il une mise application provisoire du traité avant la ratification par les Parlement nationaux ? Il faut savoir que les textes autorisent cela. Un accord ratifié par le Parlement et par le Conseil européens peut être appliqué provisoirement jusqu’à ce que tous les tous États aient achevé de se prononcer.

C’est d’ailleurs ce qui s’est produit avec l’accord UE-Ukraine. Les Pays-Bas ont organisé un référendum d’initiative populaire le 6 avril dernier. Le « non » l’a emporté à 60 %. Mais l’accord était déjà en application. On recherche donc à présent une manière juridiquement acceptable de montrer que la plupart des domaines couverts par l’accord relèvent de la compétence exclusive de l’Union, afin de pouvoir continuer à l’appliquer. Tout en essayant de prendre en compte…dans une certaine mesure le résultat du vote Hollandais….

Qui peut décider d’une éventuelle mise en application provisoire ?

La Commission émet une proposition, qui doit être validée par les États membres. Parmi les autres acteurs qui peuvent être amenés à trancher ce type de questions figure notamment la Cour de justice de l’Union (CJUE) qui, quoiqu’on en entende très peu parler, a toujours eu un rôle décisif dans la construction européenne, notamment dans l’élaboration de l’arsenal idéologique. Au cours des dix dernières années, c’est la Cour qui a donné l’impulsion essentielle quand aux évolutions de l’UE, en particulier sur les questions économiques et sociales.

Et au niveau du Parlement européen, comment cela se passe-t-il ?

Le CETA, c’est évident, n’y fait pas l’objet de la même émotion que le TAFTA. Pour de nombreuses raisons. C’est un accord de moindre envergure. Le Canada n’est pas un partenaire de la même importance que les États-Unis. Et dans le cas français, il existe, ce n’est un secret pour personne, une sympathie particulière pour le Canada. Enfin, les entreprises canadiennes sont moins impressionnantes que les mastodontes étasuniennes. Bref, en termes de taille critique, les deux projets d’accord n’ont rien à voir.

On gagnerait toutefois à être un peu prudent. Je suis en train de lire le CETA, qui représente tout de même 2000 pages rédigées en anglais. A titre personnel, je considère qu’il demeure des problèmes liés à cet accord. Selon moi, les clauses « cliquet » ou « statu quo » ne sont pas acceptables en l’état. Et je ne suis pas sûr du tout de voter ce texte.

Qui d’autre peut refuser de le voter ? Plus généralement, qui défend quoi au sein du Parlement européen ? Les clivages sont-il davantage saillants entre les différentes familles politiques ? Entre les différents pays ?

C’est très variable. Il existe en effet des clivages politiques et des clivages nationaux. Pour faire vite, la gauche non social-démocrate est généralement hostile aux traités de libre-échange. Pareil pour l’extrême-droite. Ceux-là voteront contre le CETA et, plus tard, contre le TAFTA. La gauche social-démocrate, elle, est traversée par un clivage. Dans certains pays – et là, on en revient aux grilles de lecture nationales – les sociaux-démocrates sont très favorables au livre-échange. C’est le cas notamment des Scandinaves ou des Néerlandais et, dans une certaine mesure, des Italiens ou des Anglais. A l’inverse, les Français ou les Belges, les Portugais ou les Grecs, par exemple, sont plus réticents.

Concernant les droites, elles sont également divisées. Une partie de la droite française est par exemple franchement hostile au TAFTA. L’ancien ministre Jean Arthuis est l’un des principaux opposants de droite à l’accord. Mais ça aussi, c’est une singularité nationale : la France a un rapport de défiance vis-à-vis du libre-échange.

Et l’Allemagne, que défend-elle ? Elle a un poids prépondérant au sein du Parlement européen…

Oui, incontestablement elle domine. Quant à ses prises de position, elles dépendent beaucoup des sujets. Sur le TAFTA, des manifestations monstre se sont tenues : 300 000 personnes à Berlin, 90 000 personnes à Hanovre il y a encore un mois. La société civile est très mobilisée. Quant au gouvernement allemand, il est ambigu, ne serait-ce que parce qu’il s’agit d’une grande coalition. Angela Merkel est plutôt favorable au TAFTA. Le SPD est divisé. Il est en tout cas hostile aux ISDS dont nous parlions tout à l’heure.

En tout état de cause, si l’on veut résumer de manière globale l’attitude du Parlement européen, je dirais qu’il penche globalement en faveur du CETA et en défaveur du TAFTA.

Outre le TAFTA et le CETA, une autre projet d’accord est en préparation, qui touche cette fois le commerce des services. Il s’agit du TISA (Trade in Services Agreement), en vue duquel les négociations ont débuté en 2013, mais dont on entend jamais parler. De quoi s’agit-il exactement ?

Auparavant, il existait des négociations qui se tenaient dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce. C’était le « cycle de Doha », débuté en 2001. Mais depuis lors, l’OMC est complètement bloquée, d’abord parce qu’elle compte tous les pays du monde, ensuite parce qu’un certains nombre de grands pays comme l’Inde, par exemple, se montrent très protectionnistes. Ils refusent d’entrer dans le cadre d’une approche multilatérale.

Face à ce blocage complet, une cinquantenaire de pays, les 28 de l’Union européenne et d’autres (États-Unis, Canada, Australie, Colombie, Mexique, Chili, Japon etc.), ont décidé d’avancer de leur côté sur la question des services. Ils ont expliqué leur démarche en affirmant qu’il n’existait plus d’accord sur les services depuis les années 1990, et que les choses avaient considérablement évolué depuis suite à la révolution numérique, l’explosion du e-commerce, etc.

Ces cinquante pays se sont autodésignés comme « les amis des services », et ont débuté des négociations sur la libéralisation de commerce des services…. dans une indifférence générale et une opacité complète. Au départ, ils se rencontraient en Suisse, dans les locaux de l’ambassade d’Australie, puis dans ceux de l’OMC. Le 26 mai a débuté le dix-huitième round de négociations.

Que recouvre exactement le domaine des services ?

C’est très vaste. Ce peut être les services à la personne, les services financiers, et même ceux apparentés à des services publics comme la santé ou l’éducation.

Chose préoccupante avec le TISA : nous, parlementaires européens, n’avons accès qu’à très peu de documents de négociation. On peut consulter des résumés de ce qui s’est dit pendant les réunions, et éventuellement l’ordre du jour. On sait donc que les choses avancent. Par ailleurs, grâce aux fuites WikiLeaks, on a pu connaître les positions des différentes parties, savoir ce sur quoi chaque État est prêt à négocier. On sait par exemple que la Turquie a proposé une vaste libéralisation du domaine des services hospitaliers. Ou que le Canada souhaite libéraliser certains services liés à l’environnement : égouts, assainissement, traitement des ordures ménagères.

Concrètement… ça signifie qu’une entreprise étrangère pourrait venir entretenir les égouts en France ?

Si ce domaine de négociation est retenu comme devant être effectivement discuté et s’il y a un accord à la fin, c’est en effet possible.

Mais en réalité, le véritable point dur avec le TISA réside dans les clauses « statu quo » et « cliquet », qui posent quant à elle des problèmes démocratiques considérables. S’il y a un enjeu à appréhender, c’est bien celui-ci. Ces clauses conduisent à affirmer ceci : si, au terme des négociations, on aboutit à la libéralisation d’un secteur, si un gouvernement arrive après dans l’un des gouvernements signataires et qu’il décide de revenir sur la libéralisation intervenue avant son arrivée au pouvoir, et bien…. il ne le peut pas ! Les négociations TISA prévoient une irréversibilité du processus de libéralisation. Cette demande provenant au départ de multinationales voulant s’assurer une sécurité de leurs investissements, est totalement contraire à l’esprit de la démocratie.

Mais comment peut-on empêcher, dans les faits, un gouvernement démocratiquement élu de dénoncer un traité signé par ses prédécesseurs ?

On le peut en prévoyant que si l’accord est dénoncé, les parties auront droit à réparation. En tout état de cause, le Parlement européen a voté une résolution il y a quelques semaines pour exprimer son refus de ces clauses, et sa volonté de protéger les services publics.

Mais la Commission européenne, dans un document qui n’est pas public mais qui est parvenu aux parlementaires, nous a expliqué qu’il était impossible de revenir sur le principe des clauses en question puisque toutes les parties qui négocient se sont engagées à les promouvoir.

C’est pourquoi je considère pour ma part que le TISA est une question explosive. En réalité, il est plus dangereux que le TAFTA, même si bien moins connu.

Je suppose que c’est la Commission européenne qui négocie au nom des 28. Comment les eurodéputés sont ils informés ?

C’est un problème que certains d’entre nous ont soulevé en 2014, immédiatement après les élections européennes. On s’est rendu compte assez vite, concernant le TAFTA à l’époque, qu’on n’avait accès à aucun document de négociation. On a littéralement dû harceler la Commission pour obtenir de la transparence au sujet d’un texte qu’on va pourtant nous demander de ratifier !

La première victoire que nous avons obtenue – avec l’aide de certaines ONG – a consisté à pouvoir consulter un certain nombre de documents dans des pièces sécurisées. Mais dans des conditions assez étranges, comme on peut le voir sur la vidéo ci-dessous, et avec interdiction de divulguer quoique ce soit. Le ministre Matthias Fekl lui-même, lorsqu’il voulait consulter certains documents, devait se rendre à l’ambassade américaine dans une sale sécurisée…

Depuis, à force de protestations et de reportages, nous, membres de la commission « commerce international » du Parlement européen, avons obtenu de pouvoir accéder à la plupart des documents via un système Intranet sécurisé. On ne peut pas les révéler mais on peut les lire. Ceci dit, une grande difficulté demeure. Je vous disais tout à l’heure que le CETA, l’accord avec le Canada, fait environ 2000 pages. Mais le TAFTA…. ce sont des milliers de pages rédigées dans un anglais ultra technique. Et sur des sujets dont certains nécessiteraient une expertise très poussée. Exemple parmi mille autres : à titre personnel, je ne connais strictement rien à la question des graisses industrielles. La vérité c’est que pour pouvoir travailler correctement, il faudrait que chaque eurodéputé dispose d’une batterie d’experts. L’accès aux documents, c’est déjà pas mal. Mais il faudrait un travail de fond colossal pour pouvoir se prononcer sérieusement sur ce traité.

On parle donc là d’une transparence accrue sur le TAFTA. Qu’en est-il du TISA ?

La transparence est bien moindre. Je sais au moins que les négociations avancent lentement, et qu’on aboutira sans doute à un accord a minima. Pour autant, il est regrettable que personne n’en parle. Cela tient au fait que tout le monde s’est focalisé sur le TAFTA et que le temps médiatique ne permet pas de courir plusieurs lièvres à la fois…. Je ne désespère pas que l’opinion s’y intéresse davantage au fur et à mesure que les négociations vont avancer.

De toute façon, au delà du TISA, au delà même du TAFTA, il existe un sujet plus urgent encore : le statut d’économie de la marché qui pourrait être octroyé à la Chine.

Encore un sujet mal connu. Quels sont les enjeux ?

C’est simple. En 2001, la Chine a adhéré à l’Organisation mondiale du commerce. Or son Protocole d’adhésion accorde à la Chine un statut dérogatoire qui lui donne 15 ans – si elle se réforme suffisamment – pour accéder au statut d’économie de marché. Pour y parvenir, il faut tout de même remplir cinq critères. Et si c’est le cas, on ne peut plus se voir opposer un certain nombre de mesures antidumping.

Depuis 15 ans, l’Europe n’a élaboré aucune stratégie. Alors que la Chine passe son temps à faire du dumping, à contrôler ses prix, à subventionner ses entreprises, à bloquer l’accès des entreprises étrangères à ses marchés.

Ce sont en sommes les protectionnistes les plus performants du monde…

Ils le sont, oui. Et comme très peu de pays se protègent autant, ils n’hésitent pas à inonder les marchés étrangers de leurs produits. Or si l’on ne fait rien, d’ici la fin de l’année, plus aucune barrière antidumping ne pourra leur être opposée. Là, ce sont des millions d’emplois industriels qui sont menacés en Europe à court terme. J’insiste : des millions d’emplois.

On parlait tout à l’heure des panneaux photovoltaïques mais on peut évoquer aussi l’exemple de l’acier. La Chine possède dans ce domaine des excédents considérables. Elle vend donc son acier deux fois moins cher que l’acier européen. Évidemment, sans réaction de notre part, l’acier européen est condamné d’ici la fin de l’année. Les États-Unis ou le Canada sont très fermes par rapport à la Chine. L’Union européenne, comme à son habitude, tergiverse et agit peu. La Commission n’a pris à ce jour aucune position sur la question. Certains – Juncker, Moscovici – ont vu le danger. En revanche les commissaires d’Europe du Nord sont furieusement libre-échangistes et ne veulent pas lever le petit doigt. Certains usent de cet argument étourdissant : « accorder le statut d’économie de marché à la Chine, c’est la meilleure garantie pour qu’elle se réforme »…..

Au Conseil, beaucoup de pays sont conscients qu’on est là face à un vrai risque mais d’après mes informations, aucun pays ne veut prendre position publiquement par crainte des représailles commerciales chinoises. Silence radio, donc. Mais au prix de la mort programmée de pans entiers de l’industrie européenne.

Il faudrait donc une mobilisation européenne de très grande ampleur. Pour l’instant, c’est le cas seulement en Italie. Pas du tout en France en revanche. A Parlement européen, Édouard Martin et moi-même sommes parvenus à faire voter une résolution très ferme, mais qui ne fait pas spécialement réagir les États membres.

Quid des Allemands ? On a vu que leur société civile était très mobilisée contre le TAFTA….

Ce n’est pas le cas sur la Chine. L’Allemagne est très prudente en ce domaine car elle échange beaucoup avec ce pays. Elle considère qu’elle peut sans doute y gagner encore des parts de marché pour ses industries de pointe.
Un dernier point que je souhaite évoquer et qui n’est pas sans lien avec la question chinoise : se tient actuellement au Conseil une réflexion sur « la modernisation des instruments de défense commerciale ». Il s’agit de réfléchir à la manière dont on pourrait, à l’instar des américains, raccourcir le délai des enquêtes sur les pratiques de dumping ou durcir les sanctions. Là, on est parvenu – et le gouvernement français y est pour beaucoup – à un texte commun France-Allemagne. On se heurte toutefois à une opposition très ferme du Royaume-Uni, des Pays-Bas ou des pays de l’Est. Une bataille essentielle se joue là, et on en verra le résultat dans six mois.

Au bout du compte, toutes ces questions de commerce international sont très révélatrices de ce qu’est l’Europe, des rapports de force qui y règnent, de la manière dont elle se construit…

Absolument. La question posée par ces dossiers est celle de savoir si l’Europe est en capacité de se défendre, et surtout… si elle le veut. Et si elle veut se doter d’une véritable politique commerciale, qui permette l’échange mais également la protection de savoir-faire, d’industries, de travailleurs ou de consommateurs.

Si elle renonce à cela, elle demeurera une vaste zone de libre échange complètement dépolitisée, et deviendra assez vite l’idiote du village planétaire. Pour l’heure, alors tous les autres pays se protègent et font preuve de pragmatisme, seule l’UE demeure aveuglée par l’idéologie. Cela tient à la prévalence des vues de certains pays historiquement libre-échangistes, mais aussi au défaut de volonté politique des pays qui ont encore une industrie à protéger : Italie, France, Allemagne.

Les réponses apportées à la problématique commerciale induisent toute une conception de l’Europe, et je pense qu’il est temps que les grands États se décident enfin à indiquer une direction : celle d’une politique commerciale volontariste. D’ailleurs, la mobilisation de l’opinion y aiderait.

Coralie Delaume, essayiste et journaliste, animatrice du blog "l'arène nue"

Coralie Delaume, essayiste et journaliste, animatrice du blog "l'arène nue"

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24 mai 2016 2 24 /05 /mai /2016 08:33

logo-liberation-311x113Libération - 23 mai 2016 à 18:11

Lettre ouverte à François Hollande et Angela Merkel, signée par les eurodéputés Emmanuel Maurel (France - PS), Fabio de Masi (Allemagne - Die Linke), Dimitrios Papadimoulis (Grèce - Syriza), Ernest Urtasun (Espagne - Initiative pour la Catalogne Verts) et Guillaume Balas (France - PS).

Ce mardi se tient la réunion de l’Eurogroupe qui va examiner la situation grecque. Plusieurs députés européens appellent la France et l’Allemagne à desserrer l’étau.

Un mémorandum a été signé avec la Grèce, en juillet 2015, contre la volonté initiale de son peuple. Le motif, exactement résumé par Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne, c’est que «les choix démocratiques ne peuvent aller contre les traités».

Le gouvernement grec Syriza a démontré un courage politique exemplaire en mettant en œuvre rapidement le programme controversé tout en essayant de minimiser les effets sociaux dramatiques qu’on peut en attendre sur les Grecs à moyens et à faibles revenus. Une série de mesures sans précédent et souvent difficiles ont été prises, telles que la réforme administrative et de retraite, les changements dans les taux de TVA, et les privatisations. Dimanche 8 mai, le gouvernement a même obtenu de sa majorité parlementaire le vote d’un système de coupes automatiques dans les dépenses publiques lorsque le budget dévie des objectifs budgétaires. Une réforme qu’on n’imagine pas être imposée à la France ou à l’Allemagne.

Lorsqu’une partie exécute sa part du contrat, il est légitime qu’elle attende de l’autre partie qu’elle s’y tienne également. Or, les Etats de la zone euro, au fil des réunions de l’Eurogroupe, remettent à plus tard les décisions qui permettraient de trouver une solution durable à la crise en se reposant sur le prétexte spécieux de la «revue des réformes». En un mot, trop d’acteurs dans ce dossier veulent jouer la montre.

Le résultat est que la Grèce a été prise en étau entre des objectifs d’excédent budgétaire exagérés et irréalistes et la déflation alimentée par l’austérité. Avec cette incertitude, ainsi que le frein du manque d’investissement public et privé, il est impossible d’atteindre les objectifs convenus et de restaurer le potentiel de l’économie grecque. L’incertitude politique, la stagnation économique et le poids excessif de la dette ruinent la capacité de remboursement de la Grèce. Le pays est pris en étau, également, entre certains créanciers qui souhaitent tester les limites financières, sociales et politiques du pays et intimider les gouvernements de pays comme la France et l’Italie. Une Grèce, enfin, prise en étau géographiquement par des voisins qui bafouent sans complexe la libre circulation des personnes, érigent des frontières physiques et emprisonnent les réfugiés sur le sol hellène.

Aujourd’hui, comme à l’orée de l’été dernier, les incertitudes s’accumulent, autant pour les Grecs que pour les investisseurs qui attendent pour revenir que la situation se soit stabilisée. La situation, qui ne stagne pas mais s’aggrave, est une situation de blocus économique pour la Grèce où le contrôle des capitaux est toujours en vigueur. La chancelière allemande et le président français ont le pouvoir de mettre un terme à ces incertitudes, en donnant la validation de l’acquis et la poursuite du programme, afin qu’il arrive à son terme le plus rapidement. De lever le blocus économique de la Grèce !

Il faut souligner, enfin, à la lumière des éléments récents, que seuls 5% des sommes prêtées à la Grèce ont été captées par le budget grec. Les 95% restants ont servi à recapitaliser des banques à qui la Banque centrale européenne (BCE) aurait pu épargner la panique et la fonte des liquidités qu’elles ont connues ainsi qu’à payer de retour les créanciers eux-mêmes, comme l’a rappelé encore récemment l’étude allemande publiée dans le Handelsblatt. Aussi serait-il politiquement aveugle, et économiquement irresponsable, d’abuser plus longtemps d’un droit que ces prêts ne donnent pas aux créanciers.

L’Union européenne doit elle-même beaucoup d’argent à la Grèce : tous les fonds structurels auxquels chaque pays a le droit et qu’on lui a refusés entre 2009 et 2014 au motif de l’absence de cofinancements, aggravant précisément l’absence de financements pour les projets grecs ; ou encore les bénéfices réalisés par la BCE sur la détention de titres de dette grecque pour ne citer qu’eux. Mais encore, indirectement, par l’exclusion de la Grèce des liquidités du programme d’assouplissement de la BCE pour des raisons arbitraires (la signature d’un mémorandum).

Chaque mois qui passe, en laissant le chômage abattre 5 jeunes sur 10 et une personne sur 4, chaque semaine qui passe, en laissant les voisins de la Grèce refouler les réfugiés sur une terre en crise, chaque jour de misère pour les 35% de Grecs touchés par la pauvreté sont une hypothèque supplémentaire sur l’avenir de ce pays, qui augmente inexorablement le risque de fabriquer un Etat failli au cœur de l’Europe.

Face à la crise démocratique européenne, qui ne cesse de s’approfondir, le véritable populisme consiste à faire d’un peuple européen le bouc émissaire, en jouant l’avenir de l’Europe sur des intérêts particuliers.

Nous demandons à François Hollande et à Angela Merkel de prendre l’initiative d’actions substantielles pour rétablir la confiance et la soutenabilité de la dette et de l’économie grecques, qui se réforment en profondeur.

 

"Il faut lever le blocus économique de la Grèce" - Tribune dans Libération
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28 avril 2016 4 28 /04 /avril /2016 13:27

Le lundi 18 avril 2016, l'école de formation proposait à ses participants un panorama historique et politique des gauches européennes. Rémi Lefebvre, professeur à l'université Lille-2, ayant été empêché pour des raisons professionnelles de faire l'intervention prévue ce soir-là, c'est Frédéric Faravel, membre du conseil national du PS, qui a assuré l'intervention.

Alors que la social-démocratie traverse une période de crise prolongée, mêlant tout à la fois des raisons stratégiques, sociologiques et idéologiques, il est utile de regarder quelle est la situation réelle de la gauche en Europe dans sa diversité. Social-démocratie, écologie politique, gauche radicale, les situations varient évidemment énormément selon les réalités nationales, mais de grandes lignes de lecture peuvent se distinguer à l'échelle européenne. Il était donc utile de faire le point sur les convergences, les divergences, les opportunités et les impasses au moment où la gauche espagnole négocie dans des conditions difficiles pour savoir si elle est capable de proposer un nouveau gouvernement.

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Vous trouverez ci-dessous les vidéos de la séance. Vous pouvez accéder aux autres documents pédagogiques ici.

 

Panorama des gauches européennes en 2016
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28 avril 2016 4 28 /04 /avril /2016 11:44

euractiv-greceLe gouvernement grec applique le dernier mémorandum, tout en lançant les réformes nécessaires… Et les mesures d’austérité ne font que s’alourdir.

Cette tribune est signée par sept eurodéputés : Guillaume Balas, Socialistes & Démocrates (France), Sergio Cofferati, Socialistes & Démocrates (Italie), Eva Joly, Verts/ELA, (France), Curzio Maltese, GUE/NGL (Italie), Emmanuel Maurel, Socialistes & Démocrates (France), Dimitrios Papadimoulis, GUE/NGL (Grèce), Isabelle Thomas, Socialistes & Démocrates (France), Ernest Urtasun, Verts/ELA (Espagne).

13 juillet 2015 : un accord in extremis est trouvé entre les créanciers pour poursuivre l’assistance financière à la Grèce.

Depuis l’été dernier, le gouvernement d’Alexis Tsipras met en œuvre le programme du dernier mémorandum tout en entamant les réformes nécessaires au pays : reconstruction de services publics viables, réforme du régime des retraites, lutte contre l’évasion fiscale et contre la pauvreté.

La semaine dernière, Alexis Tsipras devait faire face à de nouvelles mesures d’austérité imposées par les créanciers au cas où l’objectif d’excédent primaire n’était pas atteint en 2018. Encore une fois, la stratégie absurde des créanciers se répète alors même qu’une étude d’Eurostat, publiée jeudi 21 avril, invalide les scénarios pessimistes du FMI. Une stratégie qui consiste à reproduire machinalement les erreurs du passé sans avoir le courage de tracer un chemin vers une solution viable à la crise.

Les dessous troubles des négociations

La revue des réformes s’éternise depuis deux mois : elle est sans cesse reportée en raison des désaccords entre créanciers, principalement entre les institutions européennes d’une part et le FMI d’autre part. Les deux points de crispation sont la question des excédents primaires ainsi que les réformes à mettre en place pour les atteindre. Le FMI conteste les objectifs d’excédents primaires contenus dans le dernier accord de juillet et se montre perpétuellement insatisfait des réformes mises en place par le gouvernement grec mais, dans le même temps, réclame un allégement de la dette. Certains créanciers de la zone euro ont, eux, stratégiquement intérêt à ce que le FMI demeure dans le programme d’assistance financière mais refusent a contrario l’allégement de la dette.

Cet entremêlement croisé d’intérêts divergents conduit à une situation de blocage où le FMI, obsédé par le dogme budgétaire, profite de sa réunion de printemps à Washington pour achever de rallier les autres créditeurs européens à ses vues. Les dernières révélations WikiLeaks ont, quant à elles, révélé au grand jour les sombres tractations qui se jouent dans la gestion de cette crise. Convaincu que la Grèce ne pourra honorer ses obligations en juillet prochain, le responsable du département européen du FMI, Poul Thomsen, voit dans la faillite du pays le seul moyen d’imposer le point de vue de l’institution financière internationale.

Incapables de se mettre d’accord politiquement et techniquement sur la nécessité d’un allégement de la dette et sur le déficit budgétaire à combler, les créanciers ont consolidé leur position autour de la nécessaire participation du FMI et de l’ajout de nouvelles mesures d’austérité. Nouvelles hausses d’impôts, économies supplémentaires, baisse des pensions de retraite prépareront le terrain pour une énième perfusion financière.

Ces mesures supplémentaires sont d’autant plus absurdes qu’une étude publiée jeudi 21 avril dernier par Eurostat confirme que l’excédent primaire du pays pour 2015 atteint 0,7% du PIB (hors service de la dette), au-delà de l’objectif initialement fixé par le programme à 0,25% du PIB et ce, malgré le contrôle des capitaux imposé depuis l’été 2015 et l’arrivée de milliers de réfugiés dans le pays.

Après d’intenses négociations, les différends qui opposent la Grèce et ses créanciers ne sont, cependant, pas indépassables à condition qu’une véritable volonté politique de parvenir à un accord soit partagée. En dépit de l’annulation de l’Eurogroupe du 28 avril, il est donc nécessaire que la revue du programme soit conclue dans les semaines à venir.

Alors qu’il met en œuvre depuis septembre des mesures pourtant validées par l’Eurogroupe et se tient au dernier programme conclu, Alexis Tsipras est pris au piège d’un nouvel ultimatum, voulu par certains des créditeurs comme le FMI ou la frange dure des créanciers européens incarnée par Wolfgang Schäuble.

Atteints d’une schizophrénie généralisée, ces derniers poursuivent la désintégration de l’Union par la preuve.

Responsabilité politique des dirigeants de la zone euro

Au travers de mécanismes internationaux créés de toutes pièces par des traités intergouvernementaux, la perfusion financière a mis sous tutelle économique un pays membre de l’Union européenne. Faisant fi des réalités humaines, sociales et économiques, le prétendu remède imposé au malade grec s’apparente à une saignée qui risque, à terme, de le tuer.

Il ne s’agit pas du dernier paradoxe de cette crise puisque les mêmes qui demandent une mise en œuvre rapide du mémorandum jouent maintenant avec le temps. Cette stratégie politique contradictoire a pour but, sans aucun doute, de déstabiliser la coalition gouvernementale et la majorité parlementaire.

Depuis juillet 2015, les créanciers poursuivent deux buts : imposer les mesures d’austérité du mémorandum et mettre Alexis Tsipras hors-jeu. Ils sont parvenus au premier objectif et poursuivent désormais le second.

Les créanciers de la zone euro sont également membres d’une Union que l’on espère, encore, politique. Il y a donc un besoin urgent de clarification : continueront-ils à soutenir indéfiniment une telle stratégie ou assumeront-ils la responsabilité de mettre en œuvre une solution politique durable à la crise ?

La Grèce doit pouvoir bénéficier d’une annulation, d’une restructuration ou d’un rééchelonnement de sa dette (restructuration des maturités et des taux de remboursement). Il y a consensus aujourd’hui parmi les économistes reconnus pour dire que la dette grecque est insoutenable.

Nous appelons donc les dirigeants de la zone euro à conclure rapidement la revue des réformes et à aborder la question de la renégociation de la dette pour permettre au gouvernement de poursuivre des réformes qualitatives, améliorer la croissance, promouvoir le développement économique et reconstruire les services sociaux du pays.

Dans un deuxième temps, il faudra sortir d’une gestion purement intergouvernementale de la crise et examiner les moyens de renforcer la méthode communautaire.

Comme l’ont déjà rappelé certains rapports du Parlement européen, la gestion de cette crise a confirmé le renoncement à la légitimité démocratique de la troïka, arrangement institutionnel mêlant créanciers de toutes sortes : États, institutions financières et banquières. En tant que représentants démocratiques d’États membres de l’Union, les dirigeants de l’Eurozone ne peuvent se permettre de tenir une position ambiguë.

En définitive, il est nécessaire d’admettre que toute position ou « non position» prise sur cette affaire est clairement politique. Sans cela, cette Europe demeurera un agrégat de données comptables, d’intérêts particuliers et contradictoires, engagé sur la seule impasse de l’austérité. La responsabilité de ce choix conscient ne pourra alors être retirée à chacun des dirigeants de la zone euro.

A retrouver sur le site d’Euractiv

hémicycle du parlement européen à Bruxelles

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28 avril 2016 4 28 /04 /avril /2016 10:41

Mardi 26 avril 2016 - COMMUNIQUÉ - Emmanuel MAUREL, député européen, Membre de la commission du Commerce international

Emmanuel_Maurel_commission_PE_TiSA_22-09-2015L’offensive de Barack Obama et Angela Merkel place, à juste titre, les négociations du Traité transatlantique (TTIP) sur le devant de la scène. Beaucoup a été dit à ce sujet, et il est de plus en plus clair que ces négociations ne s’inscrivent pas dans l’intérêt de la France. Mais la mobilisation grandissante contre le TTIP ne doit pas occulter d’autres négociations moins connues – comme les accords CETA et TiSA – dont les risques démocratiques et sociaux sont largement équivalents.

Depuis 2013, l’Union européenne négocie le TiSA – un méga-accord de libéralisation du commerce des services – avec 23 autres États industrialisés.

Comme pour la plupart des accords commerciaux, les négociations ont commencé dans l’opacité la plus totale, à tel point qu’il a fallu attendre des fuites de Wikileaks pour en savoir plus sur le contenu des propositions des parties. Elles ont eu le mérite de nous apprendre une chose : alors que les promoteurs du TiSA disent vouloir définir de nouvelles règles pour encadrer la mondialisation et l’économie numérique, l’accord tel qu’il est effectivement négocié semble plutôt s’inscrire dans une vaste entreprise de dérégulation.

Face à cette situation très insatisfaisante, le Parlement européen – qui bénéficiera d’un droit de veto sur l’accord final – s’est saisi de la question. Dans un rapport voté au début de l’année 2016 (que la gauche européenne a significativement renforcé), nous avons listé cinq exigences qui, si elles n’étaient pas toutes respectées par la Commission, justifieraient un rejet du texte :
1) Renforcer considérablement la transparence des négociations ;
2) Garantir la protection des données personnelles des citoyens européens dans l’économie numérique ;
3) Préserver le droit des États souverains à légiférer dans l’intérêt général, en rejetant explicitement les clauses « standstill » et « ratchet », ces dispositions qui rendent toute décision de libéralisation irréversible ;
4) Protéger les services publics européens, en les excluant purement et simplement du champ de l’accord ;
5) Éliminer les risques de dumping social et œuvrer à l’harmonisation par le haut du droit des travailleurs, en poussant toutes les parties à ratifier les 8 conventions fondamentales de l’Organisation internationale du travail (sur le droit de grève, l’interdiction du travail forcé, etc.).

À toutes ces demandes pressantes, qui constituent autant d’encouragements vigoureux à changer de cap, la Direction générale du Commerce de la Commission vient de réagir via un document de suivi préoccupant. D’une suffisance insupportable, elle multiplie les fins de non-recevoir aux parlementaires, sur les clauses « standstill » et « ratchet », sur les droits des travailleurs et même sur la protection des services publics !
Les négociateurs doivent cesser de jouer avec le feu. Si la Commission ne se conforme pas à toutes les directives du Parlement européen, je me mobiliserai pour que le TiSA soit très largement rejeté.

Emmanuel Maurel, député socialiste européen, en commission au Parlement européen

Emmanuel Maurel, député socialiste européen, en commission au Parlement européen

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