Bruno Rieth |Lundi 3 Novembre 2014
Dans les tréfonds du Parti socialiste, ce n’est pas la joie. Les militants désertent les réunions, quand l'exaspération ou la résignation règnent chez beaucoup de ceux qui restent. Mais il est des sections et des fédérations, notamment tenues par l'aile gauche du PS, qui tentent de s'organiser pour décrocher un congrès et faire "réussir cette deuxième partie de quinquennat". Pascal Fayolle/SIPA
L'hémorragie militante s
e précise. Un premier chiffre était sorti dans la presse en juin dernier : 25 000 adhérents auraient alors quitté le bateau ivre socialiste depuis 2012, soit 10 % des effectifs. Jean-Christophe Cambadélis s’était employé à écoper sans reboucher les trous pour autant, affirmant même qu’il s’agissait en fait des effets d'un « turn over » tout ce qu'il y a de plus classique au Parti socialiste. «Il y a des gens qui sortent, des gens qui rentrent (...) en fonction des élections», expliquait-il avec détachement, tout en confirmant donc implicitement l’information. Plus récemment, selon Europe 1 qui a mis la main sur un document interne, le parti subirait une baisse de 60 % de ses recettes de cotisations par rapport à ce qui était prévu. Et le moral des troupes restantes, de tous ces premiers fédéraux, ces secrétaires de sections, ces hommes et femmes, militants locaux sincères qui ont pour mission de faire vivre le parti au jour le jour, est au plus bas. Ils doutent (beaucoup), mais ne se résignent pas (encore). C'est le cas par exemple de David Fontaine, jeune secrétaire de la section de Saint-Etienne du Rouvray, en Seine-Maritime, et adjoint au maire de cette même commune, en charge des Affaires scolaires.
«Au dernier congrès, j’ai signé la motion 1 (la motion majoritaire au PS, ndlr). Mais aujourd’hui, avec la politique menée par le gouvernement, nous sommes nombreux à nous retrouver au côté de l’aile gauche du parti et à réclamer un retour à la ligne développée lors de la campagne de 2012» confie-t-il. D’abord soutien de Martine Aubry lors de la primaire socialiste, il se rangera derrière François Hollande «sans hésiter» et se lance «à 100 %» dans la campagne. Les efforts payent : sur cette terre fabusienne, le candidat Hollande recueille 37% des suffrages, loin devant un Jean-Luc Mélenchon à 22%, une Marine Le Pen à 17% et un Sarkozy qui fait pâle figure avec 14% des votes à peine.
«Les Stéphanais ont souhaité, par cette massive mobilisation pour le candidat socialiste, porter haut l’espoir d’une France plus juste, rassemblée et tolérante» écrivait-il dans un communiqué au lendemain des résultats. Le second tour lui donne une raison supplémentaire de s’enthousiasmer. «Dans un bureau de vote du quartier le plus populaire de la commune, Hollande a reçu près de 90% des votes», se souvient-il. Surtout, «dans cette ville ouvrière composée de gens modestes, il y a eu une adhésion massive au programme de la présidentielle. Le discours du Bourget qui a marqué les gens, a donné corps à ce slogan fort : “Le changement, c’est maintenant”».
Oublié, le discours du Bourget
Malheureusement pour le secrétaire de section, l'enthousiasme a cédé sa place au désenchantement. Très tôt d’ailleurs. «Ma première déception, c’est le cumul des mandats, raconte le militant stéphanais. Les gens voulaient que les choses bougent tout de suite. C’était un premier indice sur la manière dont on comptait gouverner». Vient ensuite la communication gouvernementale, désastreuse. Non pas l'enchaînement de couacs, mais cette manière de mener les combats. «Il y a eu heureusement de très bonnes choses de faites. Je pense au travail de Laurent Fabius aux Affaires étrangères, remarque-t-il, lui-même en fin diplomate, ou au ministère de l’Education. Mais par exemple, le projet du Mariage pour tous qui était un beau combat, regardez comment ça été géré !» Le basculement, selon lui, s’opère lors de l’annonce du pacte de responsabilité et du vote du CICE. «On a assisté à un changement radical de la ligne économique. Ça a été une vraie rupture avec la base militante. Une rupture franche que l’équipe dirigeante du PS sous-estime».
Constat partagé par Jonathan Munoz, premier secrétaire de la fédération départementale du Parti socialiste en Charente. «Dans ma fédération, sans avoir de chiffres définitifs, je pense que l’on doit subir une baisse de 15% de nos effectifs par rapport aux précédentes années. L’une des raisons — ça ne fait aucun doute —, c’est la politique menée par le gouvernement qui s’est accélérée avec le gouvernement Valls 2» analyse-t-il. Issu de l’aile gauche du parti, il devient le n°1 du PS en Charente en 2012, succédant à Pouria Amirshahi, l’un des députés qui anime la contestation sur les bancs de l’hémicycle. «J’ai soutenu le gouvernement jusqu’au vote de l’Accord national interprofessionnel (ANI, ndlr). Ça a été pour moi la première alerte» explique-t-il. Mais plutôt que de ressasser dans son coin, il décide de prendre la plume et d’écrire une lettre ouverte, la première d’une longue liste, «pour expliquer aux militants et aux citoyens mon désaccord avec ces choix».
Vient ensuite le pacte de responsabilité et le CICE, «autant de projets qui n’étaient pas dans le programme de la campagne présidentielle» juge-t-il sévèrement. Car s’il concède volontiers que «des efforts sont effectivement nécessaires» pour redresser le pays, il faut qu’il porte «sur l’ensemble des citoyens. Or, avec le CICE, on donne la part belle aux grandes entreprises».
Un parti « parisiano-centré » coupé des réalités
A ce sentiment de trahison des engagements de campagne, s’ajoute un parti au fonctionnement chaotique et qui étouffe le moindre débat naissant. «Ce ne sont pas les Etats généraux du PS qui vont permettre de redéfinir ce qu’est le Parti socialiste. Il y a un problème de fonctionnement à Solférino. On est entre nous, on n’écoute pas assez ce que nous dit l’extérieur. Au niveau des instances nationales, la parole ne circule pas. Ce sont toujours les mêmes, les “ténors” qui parlent, les Parisiens. Les Bureau nationaux, par exemple, se tiennent le mardi soir. Moi je mets trois heures pour venir de Charente. Ça me bloquerait deux jours dans la semaine. Je ne vais donc plus qu’aux Conseils nationaux...»
Conséquence selon lui : une rupture entre le local et le national qui ne ferait que s'accentuer. Et un débat qui a du mal à être accepté par les dirigeants nationaux du parti. «Dès que l'on dit que l’on est en désaccord avec la ligne, on nous caricature tout de suite. On arrive à des scènes où le Premier ministre lance des “j’aime l’entreprise”. Sauf que moi, je viens justement du monde économique, j’ai fait dix ans dans le privé dans des grands groupes. Je n’ai pas besoin de dire j’aime l’entreprise, j’en viens, je la connais, ce qui me donne une légitimé suffisante pour en parler sans rougir !»
Des réunions dépeuplées
Pour faire réagir les têtes dirigeantes, Roland Greuzat, implanté dans le Finistère, passé par le secrétariat fédéral, le secrétariat de section et un temps adjoint à la Culture de sa commune, a décidé de réclamer la tenue d’un congrès. Signataire de la motion 3 Maintenant la gauche, il a réussi à faire adopter le 23 mai dernier par le conseil fédéral du Finistère, une résolution qui réclamait «l’engagement d’une procédure permettant aux militants d’intervenir sur le fond de la ligne politique, sur le fonctionnement démocratique et pluraliste comme sur le rôle du Parti Socialiste et de ses adhérents». Un texte pas évident à faire passer.
«On voulait s’élever contre la nomination de Cambadélis par la grâce de Dieu. Le Conseil fédéral ne nous était pas forcément acquis, se souvient-il. Il faut dire que l’on a des durs comme Jean-Jacques Urvoas (député proche de Manuel Valls, qui préside la Commission des lois de l'Assemblée, ndlr) ou Marylise Lebranchu (ministre de la Décentralisation et de la Fonction publique, ndlr) qui a reçu le message que si son suppléant s’amusait à fronder, elle sauterait», poursuit-il.
Habitué à écrire sur le site Le Plus de l’Obs, cet ancien radical a pris sa carte au PS en 2007, au soir de la défaite de Ségolène Royal («Il fallait bien faire quelque chose»). Après avoir été conquis par le discours du Bourget qui lui a «remué les tripes», il déchante rapidement : ANI, retraite, CICE, la liste est longue. Et les défaites aux élections municipales et européennes finissent de le convaincre qu’il faut réagir. «Il y a eu une grosse baisse des effectifs. Beaucoup se sont dit qu’ils ne reprendraient pas leur carte. Les réunions ont commencé à se dépeupler. Il faut dire qu’on s’est pris de grosses claques électorales alors que normalement, on aurait dû récupérer des villes si l'on était resté sur la ferveur de 2012», analyse-t-il, de l'amertume dans la voix. Mais pour ce retraité hyperactif, pas question de se laisser abattre. L’objectif reste le même : faire «réussir cette deuxième partie de quinquennat». Avec quelle arme entre ses mains ? En multipliant les prises de paroles pour réclamer la tenue d’un congrès.
Le salut par le congrès ?
Faire voter des résolutions pour qu’un congrès se tienne, une méthode qui tend à se multiplier pour obliger Solférino à entendre ce que la base a à dire. Dans le Val-d’Oise, Sébastien Lombard, secrétaire de section, en a aussi fait voter une par les militants locaux, il y a moins d’un mois, «pour la tenue d’un congrès d’ici juin 2015. Avant les départementales, ce n’est possible, donc il faut qu’il intervienne juste après le scrutin et avant les élections régionales» explique-t-il. Adhérant en 2005, poussé par les débats sur le référendum sur le Traité constitutionnel européen, Sébastien remarque qu’aujourd’hui même «les plus hollandais des hollandais sont mal à l’aise». Il pense que ses idées ont «progressé même chez ceux qui étaient très légitimistes au niveau fédéral».
Pour lui, deux chantiers sont nécessaires. L’un, au niveau du parti : «Le PS doit être plus autonome, qu’il joue son rôle critique pour porter cette exigence de réussite du quinquennat». Il se désespère d’autant plus qu’il considère que cette aile gauche, souvent décriée par les tenants de la ligne hollando-valssienne, «a toujours été force de propositions». L’autre chantier, il considère qu'il faut le mener au niveau du gouvernement : «Il y a eu des éléments d’une politique de gauche comme à l’Education, précise-t-il, Il faut l'assumer et le faire savoir. Il faut arrêter avec cette tentation qu'a Valls de renoncer à tous les marqueurs de la gauche au mépris des règles démocratiques. Il n'y a qu'à voir la loi ALUR (la loi pour l'accès au logement et un urbanisme rénové, ndlr). C’est inédit que le Parlement se démente en si peu de temps». Rassemblement de la gauche, revalorisation des salaires, en finir avec une politique en faveur des seuls patrons («le recul face au mouvement de ces quelques patrons qui s’appelaient les pigeons» lui reste encore en travers de la gorge), voilà autant de pistes qu’il faudrait explorer, selon lui.
Dans la fédération des Ardennes, le Conseil fédéral a lui aussi fait voter une résolution pour qu’un congrès de tienne d’ici la fin de l’année. «Seul moyen de savoir quelle est la vision qu’ont les militants sur l’action menée jusqu’à présent et ce que l’on veut faire pour les semaines et mois à venir», soupire Christophe Léonard, député frondeur du département. Surtout qu’il soupçonne de plus en plus la direction du parti de retarder un maximum la tenue du congrès pour que les militants critiques désertent et que seuls restent les plus convaincus. Et les plus dociles. «Il ne restera que ceux qui soutiennent sans condition l’action du gouvernement, le parti sera alors un grand corps malade homogène qui dira amen à tout», analyse-t-il.
Sur les terres fabusiennes, David Fontaine, pour éviter dans arriver là, a décidé de remobiliser les troupes. A la tête d’une section dynamique dont il entretient l’engouement par des réunions chaque semaine, des débats de fond réguliers, a profité du banquet républicain organisé chaque année pour en faire une tribune du collectif Vive la gauche !. Rendez-vous réussi selon le Stéphanais puisque 250 personnes sont venues écouter les têtes d’affiches frondeuses et une quinzaine de secrétaires de section (sur 76) sont venus, eux aussi, entendre la bonne parole. Résultat : pas de pertes militantes et même des adhésions, assure-t-il. «On est un peu un cas particulier» fait-il valoir. Surtout, le virus semble peu à peu se répandre au niveau fédéral. Et avec une fédération socialiste parmi les sept premières de France en terme d’effectif, ça risque d’être de plus en plus difficile pour Jean-Christophe Cambadélis de continuer à s’asseoir sur les statuts en retardant la tenue du congrès.
Un comble lorsque l'on a en tête une chose : ces militants et ces élus, qu'à Solférino, on se plaît parfois à qualifier de « gauchistes », ne réclament en fait qu’une chose : un simple retour au programme présenté aux Français lors de la campagne présidentielle. «La ligne de 2012 est assurément majoritaire au sein du parti» assure David Fontaine. Etant donné la popularité en capilotade du président et de son Premier ministre, il faut croire que son retour est également réclamé par une partie des Français.