Tribune - Emmanuel Maurel, Marie-Noëlle Lienemann, Jérôme Guedj | Marianne.netSamedi 22 Décembre 2012
En pleine négociation interprofessionnelle sur la sécurisation de l’emploi, le patronat se mobilise, mettant sur la table un projet d’accord qui porte en germe un «démantèlement systématique des principaux piliers du droit du travail français et de la protection des salariés», s'alarment trois représentants de l'aile gauche du PS, Emmanuel Maurel, Marie-Noëlle Lienemann et Jérôme Guedj.
S’il y a bien un sujet déterminant pour des millions de salariés de ce pays, c’est celui de la négociation interprofessionnelle sur la sécurisation de l’emploi. Dans un contexte de crise majeure, marqué par une cascade de plans sociaux et une importante augmentation du chômage, le patronat français se mobilise comme jamais. Il a obtenu de substantielles avancées sur la « compétitivité » et n’entend pas en rester là.Ainsi, le projet d’accord présenté par le Medef porte en germe, indiscutablement, un démantèlement systématique des principaux piliers du droit du travail français et de la protection des salariés.
Il s’attaque frontalement au contrat à durée indéterminée, en revenant sur l’exigence de motivation de la lettre de licenciement, en généralisant les contrats pour « mission déterminée », le travail intermittent et à temps partiel, en raccourcissant les délais de prescription des actions prud’homales et en limitant le montant des indemnités pour rupture abusive.
En résumé, le Medef prétend revaloriser le CDI et lutter contre la précarité dans l’emploi en proposant dans le même temps une remise en cause de toutes les garanties attachées à ce type de contrats ! Qu’apporterait en effet une dissuasion du recours aux CDD si la rupture du CDI était à ce point facilitée ?
Et que dire de ces accords « compétitivité-emploi », copie conforme du projet présenté par Sarkozy durant la campagne présidentielle. Ces accords permettraient, pour une durée dite déterminée, de baisser les salaires et d’augmenter ou baisser la durée du travail, en contrepartie d’engagements de maintien de l’emploi.
Un accord du salarié est aujourd’hui nécessaire pour revenir sur ces éléments essentiels du contrat de travail, en particulier le salaire. Avec les accords compétitivité-emploi, le licenciement consécutif au refus par le salarié d’une telle modification ne serait pas économique mais sui generis, donc autonome. Dès lors, si plusieurs salariés refusaient la modification de leur contrat, l’employeur n’aurait pas à mettre en œuvre un plan social avant de les licencier. Il s’agirait d’une atteinte profonde à la protection contre les licenciements économiques, consacrée par des années de jurisprudence.
Enfin, le Medef propose de remettre en cause drastiquement le droit du licenciement pour motif économique, en réduisant le champ de ces licenciements (les plus protecteurs pour les salariés), en limitant l’obligation de reclassement préalable et en réduisant le rôles des experts du comité d'entreprise et du CHSCT.
Un tel projet est inacceptable. A celles et ceux qui se pâment devant la « flexi sécurité », il est facile de démontrer que si l’on voit bien poindre l’hyperflexibilité, on serait bien en peine de trouver quoi que ce soit de « sécurisant » pour des salariés déjà fortement fragilisés par la crise.
La gauche doit aujourd’hui réagir. D’autant que le calendrier actuel est peu favorable à la démocratie sociale. En effet, jusqu’à la détermination de la liste des organisations syndicales représentatives au plan national, qui sera connue courant 2013, tout accord sera considéré comme valide s’il ne fait pas l’objet d’une opposition d’une majorité arithmétique des organisations syndicales anciennement présumées représentatives. En d’autres termes, un accord minoritaire quant au pourcentage de salariés représentés peut aujourd’hui techniquement voir le jour.
La transposition législative d’un tel accord poserait un problème démocratique évident. Il remettrait en cause toute la philosophie de la « Position commune » et de la loi de 2008 relative à la démocratie sociale reposant sur une validation large des accords, entendue par rapport à l’audience réelle des syndicats auprès des salariés.
Si de surcroît cet accord reprenait les régressions sociales que porte le projet du Medef, nul doute que, bien que valide juridiquement, il serait inacceptable socialement, et donc rejeté par le monde du travail et ses représentants. Il serait alors inconcevable que le pouvoir le transpose en l’état dans le droit positif. Sur cette question centrale de la sécurisation de l’emploi, la gauche doit, fidèle à son histoire et à sa mission, défendre la sécurité des salariés.
Sécurité de l’emploi d’abord, par une sanctuarisation du CDI, une pénalisation du recours aux contrats précaires, une amélioration des conditions de travail et l’institution d’outils pour lutter contre le développement des risques psycho-sociaux.
Sécurité dans l’emploi ensuite, par une exclusion des licenciements de pure convenance du champ des licenciements économiques, l’institution d’une obligation de négocier dans les entreprises en amont des plans sociaux, et une meilleure prise en charge des victimes des restructurations d’entreprises.
Il est enfin impératif que la gauche, comme elle s’y est engagée devant les Français, fasse résolument entrer les salariés, avec voix délibérative, dans les organes de direction des entreprises. C’est sur ces bases que la négociation en cours tiendra sa promesse d’une sécurisation de l’emploi.
Emmanuel Maurel, Vice-président du Conseil régional d’Ile de France
Marie-Noëlle Lienemann, Sénatrice de Paris
Jérôme Guedj, Président du Conseil général de l’Essonne, Député de l’Essonne