Propos recueillis par Marie Simon, publié le 15/05/2014 à 13:02
Décidément, le cap politico-économique de François Hollande ne passe pas pour certains socialistes... Les plus déçus rejoindront peut-être le "Club des socialistes affligés", lancé par Liêm Hoang-Ngoc, membre du bureau national du PS et de l'aile gauche du parti, économiste et eurodéputé sortant.
Des "socialistes affigés" par le "nouveau discours officiel" du PS et de l'exécutif, une "orientation politique néfaste et démobilisatrice": les mots de votre manifeste sont lourds...
Le terme de socialistes "atterrés" aurait également convenu, pour faire écho au "manifeste des économistes atterrés", que j'avais signé en 2010. Mais la marque "atterrée" était "déposée" par mes amis. Le terme de socialistes "affligés" est néanmoins plus fort. Il reflète le sentiment des électeurs de gauche et des militants socialistes qui sont déboussolés et qui ne se tournent pas pour autant vers le Front de Gauche. Ils ne comprennent pas le choix opéré par François Hollande. Son virage libéral est un choix structurant qui peut conduire le PS à la déroute.
En quoi le cap de François Hollande vous "afflige"-t-il et nuit-il au PS, à vos yeux?
En France, le PS s'est toujours démarqué de la troisième voie initiée par Tony Blair au Royaume-Uni et Gerhard Schröder en Allemagne. Les politiques de l'offre sont aussi impopulaires qu'inefficaces. Elles conduisent désormais la zone euro au bord de la déflation. L'austérité budgétaire et salariale, coordonnée dans toute l'Europe, a engendré un jeu à somme négative dont la conséquence est désormais une insuffisance de demande dans la zone euro. La BCE a certes réagi. Mais la politique monétaire, seule, est impuissante dans ce contexte.
Les politiques de l'offre sont aussi impopulaires qu'inefficaces
François Hollande a fait ce choix dès sa conférence de presse de novembre 2012 et l'a imposé sans débat au PS. Le rapport commandé à Louis Gallois dès l'été 2012 avait auparavant déminé le terrain du CICE et du pacte de responsabilité.
Aujourd'hui, le malaise est réel au PS et parmi les parlementaires socialistes. Je ne fais que dire tout haut ce que beaucoup pensent, croyez-moi. Dans leurs permanences, beaucoup sentent le risque des défaites à venir. D'ici 2017, nous allons perdre des régions comme nous avons perdu des villes. Aurons-nous un second tour entre la droite et l'extrême-droite à l'élection présidentielle? Combien de députés socialistes restera-t-il? Une quarantaine?
Que proposez-vous ?
Il faut réfléchir avec un coup d'avance pour rebondir en cas de déroute de notre camp. La recomposition de la gauche se fera vraisemblablement autour d'un axe rose, vert, rouge. La famille des socialistes doit plus que jamais maintenir des liens avec des formations comme le Front de Gauche (FDG) et Europe-Ecologie-Les Verts (EELV) au lieu de construire de nouvelles majorités avec l'UDI...
La recomposition de la gauche se fera autour d'un axe rose, vert, rouge
Ce club a pour vocation de contrebalancer le poids des think tanks sociaux-libéraux que sont Terra Nova et Jean-Jaurès. Social-démocratie et social-libéralisme ne sont pas des synonymes. Nous voulons ainsi montrer qu'une politique keynésienne pro-européenne est bien plus crédible que la politique de l'offre. Il faudra notamment rouvrir le débat sur les politiques budgétaires nationales, excessivement contraintes par les textes européens, et accroître le rôle du budget communautaire.
Le 12 avril dernier, Liêm Hoang Ngoc était aux côtés de Jean-Luc Mélenchon (FDG) et Alexis Tsipras, leader de la gauche radicale en Grèce, lors d'une manifestation anti-austérité à Paris.
AFP PHOTO / PIERRE ANDRIEU
Que répondez-vous au porte-parole du PS, Carlos Da Silva, qui estime que votre manifeste est nourri par "l'amertume" de ne pas avoir été reconduit sur les listes du PS pour les élections européennes ?
C'est une basse polémique, qui trahit le fait qu'on nous prend enfin au sérieux... L'idée de ce club germe depuis la première conférence de presse du président de la République, en novembre 2012. Le moment est venu cette semaine de le rendre public, dans la foulée du débat initié par les 90 parlementaires à l'Assemblée nationale et de l'appel des socialistes contre l'austérité qui circule dans les fédérations du parti.
En amont de cette future "nébuleuse rose-rouge-verte" que vous envisagez, quels sont vos liens actuels avec les frondeurs du PS ? Et avec le Front de Gauche et EELV, dont les représentants sont invités au premier colloque organisé le 7 juin ?
J'ai signé l'appel des 90 parlementaires [pour un nouveau contrat de majorité, publié en avril dans le Journal du Dimanche, ndlr]. S'abstenir était le plus que mes collègues pouvaient faire à l'Assemblée nationale sans ouvrir de crise de régime. Le programme de stabilité a été adopté avec les voix de l'UDI. Ceci indique que la base politique et sans doute sociale de la politique du gouvernement est très étroite.
Pour ce qui est du FDG et d'EELV, nous avons des atomes crochus évidents. Cécile Duflot a compris qu'il fallait sortir du gouvernement pour ne pas cautionner ce tournant majeur. Quant au FDG, ses dirigeants sauront certainement dialoguer car la droite et l'extrême droite seront bientôt aux portes du pouvoir.