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19 septembre 2014 5 19 /09 /septembre /2014 15:46

Par Etienne COLIN, Avocat au Barreau de Paris

(Tribune publiée dans Le Monde Eco & Entreprise et sur lemonde.fr le 18 septembre 2014)

Le gouvernement a annoncé  un prochain « assouplissement » des seuils sociaux dans les entreprises, précisant qu’à défaut d’accord entre organisations patronales et syndicales, un projet de loi serait présenté en ce sens.

En l’état du droit, l’organisation d’élections professionnelles est obligatoire lorsque l’effectif de l’entreprise dépasse certains seuils : 11 salariés pour la mise en place de délégués du personnel, 50 pour celle du comité d’entreprise et du CHSCT. Diverses obligations patronales dépendent également de l’effectif de l’entreprise, telles que la participation à l’effort de construction ou le taux de cotisation à la formation professionnelle.

Pour le MEDEF, l’objectif affiché est d’obtenir une élévation des seuils rendant obligatoire la mise en place des instances représentatives du personnel. Selon lui, l’existence de telles obligations pénaliserait l’emploi, en dissuadant les entrepreneurs de franchir ces seuils d’effectifs. Les remettre en cause dynamiserait donc les embauches. Une telle analyse se heurte à plusieurs objections.

D’une part, aucune étude n’a jamais permis de faire le lien entre l’existence des seuils sociaux, la taille des entreprises et le volume des embauches. Une enquête réalisée par l’INSEE en 2011 concluait à l’ « absence d’effet de seuil observable » dans les données provenant de l’URSSAF, les plus précises et objectives sur le sujet.

D’autre part, accréditer l’idée que la représentation du personnel serait l’ennemie de l’emploi constitue une dérive dangereuse pour notre pacte social. Un tel postulat ne pourrait que conduire à remettre en cause de façon croissante le droit des salariés à être représentés collectivement, faisant reculer massivement la démocratie dans l’entreprise. Ce danger est d’autant plus grand en période de crise, où tout semble devoir être tenté pour faire baisser le chômage. A l’opposé de cette approche, il convient de réaffirmer que progrès social et performance économique ne s’opposent pas, mais concourent à la réalisation du pacte de confiance que la majorité appelle de ses vœux.

Qui plus est, une remise en cause de la représentation du personnel, non seulement contribuerait à isoler davantage les salariés dans l’entreprise, mais porterait une atteinte frontale au dialogue social. Depuis la loi du 20 août 2008, ne peuvent en effet être désignés délégués syndicaux que les salariés qui ont obtenu au moins 10 % des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections professionnelles.

Si on dispensait les entreprises franchissant les seuils sociaux actuels de l’obligation d’organiser des élections, on remettrait de facto en cause la présence syndicale, et donc toute faculté de négociation collective dans ces mêmes entreprises.

On parviendrait ainsi à la situation baroque où, au prétexte de dynamiser l’emploi, on altèrerait le dialogue social dans les entreprises, niveau où il est pourtant le plus actif, accentuant le travers français si souvent dénoncé de la faiblesse de la représentation syndicale et du dialogue social.

Le résultat obtenu confinerait à l’absurde quand on sait que depuis une trentaine d’années, le bouleversement des enjeux de la négociation d’entreprise a eu pour effet de rendre les entrepreneurs demandeurs d’interlocuteurs syndicaux : depuis que la négociation collective permet d’aménager et de moduler le temps de travail, de recourir aux forfaits jours pour les cadres, ou plus récemment de mettre en œuvre un PSE, le patronat a besoin d’une représentation syndicale dans l’entreprise pour pouvoir négocier. Dans nombre de PME aujourd’hui dépourvues de délégués syndicaux, les chefs d’entreprise se plaignent de ne pas disposer des outils de souplesse dans l’organisation du travail auxquels ont accès les grandes structures.

De ce point de vue, la remise en cause des seuils sociaux pour la représentation du personnel serait manifestement contraire à l’intérêt des salariés, mais le serait également à celui des entrepreneurs. Il est à cet égard singulier que pas une voix ne s’élève dans le patronat pour s’inquiéter d’une remise en cause de la souplesse dans l’organisation du travail dont les entreprises disposent aujourd’hui.

Le projet pose enfin un problème de méthode. En juin 2011, l’actuel Président de la République condamnait dans Le Monde la pratique sarkozyste consistant à « convoquer des sommets sociaux s’il s’agit, sous couvert de concertation, de faire avaliser des choix déjà pris ». L’annonce soudaine au printemps par le Ministre du Travail d’une « suspension des seuils sociaux », sans aucune concertation préalable avec les partenaires sociaux, fut déjà à l’origine de l’échec de la conférence sociale du mois de juillet. En confirmant, à la veille d’une négociation à venir, qu’en l’absence d’accord le Parlement sera saisi du sujet, l’exécutif s’écarte des engagements pris devant les électeurs sur la démocratie sociale et la place des partenaires sociaux dans notre pays.

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