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25 avril 2013 4 25 /04 /avril /2013 21:28

Médiapart.fr - 24 avril 2013 - Daniel Vasseur est économiste cosignataire du Plan de relance écologique et social pour la France et pour l’Europe

Le courant socialiste Maintenant la gauche propose un plan de relance écologique et social s’appuyant sur l’investissement et la consommation. « La France a un rôle historique à jouer pour l’Europe : elle est la seule à avoir le poids économique et politique suffisant pour changer la donne » et sortir du dogme de l’orthodoxie budgétaire, interpellent les élus et les économistes Daniel VasseurMarie-Noëlle LienemannEmmanuel MaurelJérôme Guedj et David Cayla.


titremailIl faut savoir s’étonner pour s’interroger sur des choses qui nous sont devenues par trop habituelles. Ainsi, comment se fait-il, alors que nous sommes dans une situation bien connue de chômage keynésien, déjà expérimentée par le passé, que tant de responsables et de commentateurs ne veuillent pas l’admettre (ou en tirer les conséquences) et ne parlent que de « maintenir le cap », confondant fermeté et aveuglement ? Ou ne cessent de clamer que le redressement budgétaire n’est pas l’ennemi voire constitue la condition de la croissance, et autres fariboles, alors qu’il ne fait plus de doute que c’est bien la croissance qui constitue le préalable de la consolidation budgétaire ?

En effet, il y a désormais un quasi-consensus chez les économistes sur le diagnostic à porter. Ce ne sont pas eux qui sont redevenus « keynésiens », mais la situation qui est keynésienne, puisque que l’on se trouve dans une phase typique de sous-emploi involontaire et conjoncturel massif dû à un déficit de demande. Cela ne signifie pas qu’il n’y ait pas d’autres problèmes, y compris du côté de l’offre, ni que la relance constituerait toujours et partout la meilleure solution, mais, en France et en Europe, aujourd’hui, c’est le cas : la relance est devenue nécessaire.

Partons d’un constat incontestable : l’économie française et européenne est quasiment à l’arrêt depuis un an et demi. Le taux de croissance de notre pays a été nul en 2012 et ne dépassera pas 0,1% en 2013 tandis que la zone euro traverse sa deuxième année de récession. Tous les moteurs de la croissance sont éteints ; la consommation a reculé en France en 2012 pour la deuxième fois de l’après-guerre et le pouvoir d’achat par unité de consommation (qui tient compte de la composition des ménages et de l’évolution de la population et donc mesure mieux le pouvoir d’achat moyen réel des Français qu’un simple agrégat macro-économique) va diminuer en 2013 pour la troisième année consécutive. Presque dans aucun pays de l’Union, le PIB n’a retrouvé le niveau qui était le sien avant la crise, ce qui veut dire, comme la population continue d’augmenter, que la richesse par habitant régresse…

Ce marasme sans précédent, qui prend dans certains pays du Sud les allures d’un effondrement, met nos économies et nos sociétés à rude épreuve, menaçant de causer des dégâts irréversibles à nos systèmes productifs, à notre cohésion sociale et à nos systèmes de redistribution. Des pans entiers de notre industrie s’effondrent, certains parlent de faire table rase du programme du Conseil national de la résistance et, déjà, l’extrémisme frappe à nos portes.

L’économie française et européenne menace de basculer dans une franche récession, c’est-à-dire de sombrer dans une spirale déflationniste dont on ne peut connaître ni la durée ni l’ampleur. Le sérieux budgétaire de la gauche au pouvoir était nécessaire et il a été démontré, mais il ne suffit plus. Il serait grave, aujourd’hui, de continuer à attendre une reprise mondiale ou, pire encore, le fruit de réformes structurelles censées être le pivot stratégique de la croissance, selon les néolibéraux, alors qu’elles ne font qu’aggraver l’atonie économique et la désespérance sociale –un peu comme une maladie que l’on prendrait pour le remède.

Dans cette perspective, le courant Maintenant la gauche propose d’examiner un plan de relance sur deux ans de 43 milliards d’euros, soit 2 points de PIB, dont seulement 28 milliards d’euros financés sur fonds publics, qui constituerait le pendant du pacte pour la compétitivité adopté fin 2012. Il permettrait d’augmenter le PIB de 3,3 points et de créer ou préserver environ 500 000 emplois.

Il s’agirait d’améliorer temporairement l’indemnisation du chômage et celle du chômage partiel dans les entreprises, de faire reculer la pauvreté des enfants et des jeunes adultes, qui s’est brutalement aggravée à la suite de la crise, en revalorisant les aides sous condition de ressources dont ils peuvent bénéficier, ou tout simplement en tenant les promesses de campagne (par exemple, en créant une allocation d’études).

On peut et on doit aussi –sans aucun coût additionnel pour les finances publiques– augmenter le pouvoir d’achat des salariés et des ménages en mobilisant les sommes reçues au titre du crédit d’impôt compétitivité emploi (CICE) par les secteurs non exposés à la concurrence internationale, comme la grande distribution, qui constituent un effet d’aubaine inacceptable en pleine crise. La loi devra conditionner le versement du CICE à la conclusion d’accords avec les partenaires sociaux, qui prévoient, en tenant compte de la situation de chaque branche, de vraies contreparties en matière de hausses de salaire, d’augmentation de l’emploi ou de réduction de la précarité. De la même manière, il faut ponctionner les rentes de certaines professions pour rendre une partie de cet argent à tous les Français : des bailleurs privés, en gelant temporairement les loyers, de certains professionnels de santé, en faisant reculer les dépassements d’honoraires, c’est-à-dire en rendant opposables les tarifs de la Sécurité sociale, ce qui n’est jamais que revenir à un principe de base de notre assurance-maladie.

L’investissement et la préparation de l’avenir n’en occuperaient pas moins une place essentielle (15 milliards d’euros), puisque ce plan de relance comprendrait une nouvelle stratégie industrielle impliquant une réorientation de l’abondante épargne des Français vers la ré-industrialisation du pays –une stratégie d’« offre compétitive » fondée non pas sur la baisse des salaires et une économie « low cost » mais sur l’innovation et la qualité. On accélèrerait la construction d’infrastructures de transport (lignes à grande vitesse, canaux, fret ferroviaire, tramways), mais aussi la montée en puissance des filières industrielles nécessaires à la transition énergétique, ou encore de la voiture électrique (commande publique de véhicules, déploiement d’une infrastructure de recharge), ainsi que de notre recherche publique, afin de la rapprocher du niveau allemand. Une prime à l’achat de logements neufs, limitée dans le temps et réellement réservée aux plus modestes, qui n’ont aujourd’hui plus accès à la propriété, permettrait de faire face à un des grands défis de la société française et de soutenir le secteur du BTP, particulièrement riche en emplois mais aujourd’hui très menacé.

Comme on le voit, ce plan s’appuie à la fois sur l’investissement et la consommation, mais en donnant sans complexe la priorité à celle-ci (qui représenterait les deux-tiers des dépenses, soit 28 milliards), car c’est la meilleure manière de faire face à l’urgence tant économique que sociale et politique.

L’urgence sociale et politique. C’est bien parce qu’il y avait eu une première phase de relance que le peuple de gauche n’a pas brutalement rejeté Mitterrand et le pouvoir socialiste après le « tournant de la rigueur » ; c’est parce qu’il n’y a rien eu de tel, durant son second septennat, qu’il fut sanctionné si durement en 1993. Après dix ans de droite et compte tenu de l’espoir soulevé dans le pays à la suite de l’élection présidentielle, le tournant de la relance répond au besoin de reconstituer la base politique de l’alternance, qui s’est dangereusement érodée.

L’urgence économique. A rebours de certains préjugés, il faut insister sur le fait que le soutien à la consommation populaire a des effets rapides et puissants sur la production nationale puisque la part des importations dans la consommation des principales catégories de biens et services ne dépasse pas 15% et qu’elle est encore plus faible dans le cas des ménages modestes, ce qui conforte une stratégie fondée sur la redistribution. La relance de la consommation n’est pas condamnée, comme le prétendent certains, à alimenter les exportations de nos voisins. La gauche n’a pas éternellement, à chaque alternance, à se repentir de la politique menée en 1981, comme d’un « péché originel », et à donner des gages de soumission à l’orthodoxie budgétaire –cette stratégie, bien trop caricaturée, avait d’ailleurs à l’époque obtenu des résultats incontestables et mériterait qu’on la revisite sans a priori.

On voit, en effet, qu’il y a là également un enjeu idéologique : c’est le moment de liquider un « surmoi libéral » qui domine la gauche depuis les années 80 pour ouvrir un nouveau cycle historique. Roosevelt avait su le faire dans les années 30 : avant de mener une politique dite « reflationniste » de relance, n’avait-il pas critiqué, pendant la campagne électorale de 1932, le laxisme budgétaire de son prédécesseur ? Ce fut un dur combat contre les médias de l’époque, les juristes, le « Big business » mais aussi contre lui-même qu’il dut mener. La gauche française ne doit pas faire moins aujourd’hui.

Les effets bénéfiques de ce plan de relance sur la croissance, étayés par de nombreuses études, notamment du FMI, qui montrent l’efficacité de la dépense publique en période de récession ou de quasi-récession (« multiplicateurs » plus élevés), mais aussi à long terme, par le renforcement de la productivité et de la compétitivité de notre économie, font qu’il serait largement autofinancé. Faisant leur mea culpa les uns après les autres, les organismes internationaux reconnaissent qu’ils ont sous-estimé la valeur de ces multiplicateurs, c’est-à-dire l’impact récessif des mesures de redressement budgétaire qu’ils préconisaient. Ils ont donc aussi surestimé leur efficacité quant à la réduction des déficits, pénalisée par la baisse des recettes publiques qui en découle. Pour des « multiplicateurs » proches de 2, une économie de dépense de 100 réduit le PIB de 200 (ce revenu retiré du circuit économique se traduisant par une moindre consommation, d’où une production moins élevée et donc une baisse des revenus distribués notamment aux salariés, qui engendre à son tour une moindre consommation, etc.) et donc les recettes publiques de 100 –soit un déficit inchangé malgré une activité et un emploi sacrifiés.

Cela signifie aussi, de manière symétrique, que la dépense publique (plus encore que la baisse des impôts) exercerait en ce moment un effet d’entraînement exceptionnellement élevé sur l’activité et l’emploi, et donc pèserait peu, en définitive, sur les comptes publics. Cette stratégie économique et financière, basée par ailleurs sur des projets en partie financés par le secteur privé car rentable (28 milliards de financement public sur 43 milliards) et des mesures souvent seulement temporaires ou réversibles (17 milliards sur 28 milliards de financement public), est donc parfaitement réaliste.

Il faut souligner que l’Etat français n’a jamais emprunté à des taux aussi bas (désormais moins de 2% par an à dix ans) qu’aujourd’hui, malgré une dette élevée. Comme dans le cas des multiplicateurs, c’est parce que la situation est mauvaise que des marges de manœuvre inattendues apparaissent. On peut et on doit saisir cette opportunité, notamment en émettant un grand emprunt national, qui mobiliserait l’abondante épargne de notre pays au service de la croissance et de l’emploi, pour agir à un moment décisif pour notre économie, pour notre société, ainsi que pour toute l’Europe.

En effet, la force de l’exemple constitue le meilleur moyen de convaincre nos voisins et d’accélérer la maturation des consciences qui commence à se faire. Cette initiative nationale a donc aussi un sens européen. L’impasse dans laquelle se trouve l’Union ne doit pas nous empêcher de prendre les devants au niveau national ; bien au contraire, elle nous y conduit. Et le faire, c’est aussi tracer une voie de sortie par le haut pour notre continent qui cesserait de faire de la purge financière et de la « réforme structurelle » le préalable à une croissance qui ne vient jamais.

L’Union a, en effet, un choix dramatique à faire dont dépend son destin entre cette sortie par le haut et la tentation du rabougrissement, fondée d’une part sur des objectifs financiers inatteignables qui conduisent à faire toujours plus de sacrifices au détriment des générations futures, d’autre part sur des « réformes structurelles » basées sur l’idée que seule la dérégulation pourrait apporter la croissance. Les faits n’ont jamais confirmé ces préjugés, bien au contraire, puisque l’Europe était déjà l’homme malade de la croissance mondiale avant même la crise financière. Paradoxalement, elle n’en fournit pas moins aux libéraux et aux organisations internationales l’occasion de changer la nature de nos sociétés sans leur assentiment, d’imposer aux peuples et aux gouvernements affaiblis le démantèlement de leurs modèles nationaux et l’élimination de toutes les règles et compromis élaborés par ces sociétés pour se produire elles-mêmes (des « rigidités » dans la novlangue de l’OCDE et de la Commission européenne). Plus que jamais, la France a donc un rôle historique à jouer en Europe et pour l’Europe : elle est la seule à avoir le poids économique et politique suffisants pour changer la donne, la seule à disposer des marges de manœuvre pour prendre les devants, ceux qui veulent ne pouvant pas (les pays du Sud), ceux qui peuvent ne voulant pas (l’Allemagne).

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