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28 novembre 2012 3 28 /11 /novembre /2012 08:05

240px-Jérôme Guedj 2010« Du scepticisme jusqu’à la franche hostilité », ainsi pourrait-on résumer la gamme des sentiments des parlementaires socialistes que je croise et qui parfois s’expriment sur la traduction législative du plan de compétitivité. Car le calendrier s’est accéléré. L’amendement introduisant le Crédit Impôt Compétitivité Emploi (CICE) sera déposé par le gouvernement dans les prochaines heures et on peut ainsi le résumer : « un crédit d’impôt de 20 milliards d’euros pour toutes les entreprises, financé par une modulation à la hausse des taux de TVA ». Simple et efficace ? Simpliste et inefficient semblent dire, tout courants confondus, les députés de la majorité qui souhaitent exercer leur droit d’amendement. Car tous le disent : le dispositif est risqué politiquement et économiquement incertain.

Politiquement risqué d’abord parce que par son mécanisme intrinsèque, le dispositif du crédit d’impôt va conduire l’état à adresser des chèques aux entreprises en 2014 sans distinguer entre celles qui, dans l’esprit du pacte de compétitivité auront investi dans la recherche, dans l’innovation, dans la formation, dans l’emploi, et celles qui auront licencié, distribué des dividendes, augmenté la rémunération de leurs dirigeants, etc. Au fond, dès 2014, il faudra expliquer qu’au moment où la gauche, avec le PLFSS 2013 met à la convergence tarifaire entre hôpitaux publics et cliniques privées, le CICE va bénéficier aux cliniques privées. Expliquer encore les chèques à 8 zéro versés aux entreprises du CAC 40 qui domicilient leurs 70 milliards de profits hors de France et en distribuent 40 milliards aux actionnaires. Demain, un chèque SANOFI, un chèque Carrefour ou un chèque MITTAL pourrait être pour nous aussi désastreux que le chèque Bettencourt issu du bouclier fiscal de Sarkozy. Expliquer enfin que dans de très nombreuses circonscriptions, au nom de la compétitivité de l’industrie française, le plus gros bénéficiaire du crédit d’impôt aura été en fait le secteur de la grande distribution soumis comme chacun sait, aux risques de délocalisation et exposé à la compétition internationale…

Économiquement incertain ensuite, puisqu’il s’agissait au départ – légitime débat porté durant la campagne par François Hollande – de combattre le déclin de nos industries. Or nous est aujourd’hui proposé un texte qui dans son périmètre s’adresse à toutes les entreprises, ce qui entraîne une dilution des vingt milliards d’euros mobilisés au profit d’entreprises pour qui, au regard de la compétitivité, le coût du travail n’est pas un sujet. Dans le même temps, en ne fléchant pas l’usage de la trésorerie ainsi rendue disponible vers la recherche, le développement et l’innovation, le gouvernement se prive du seul levier connu pour renforcer la compétitivité de l’économie. Car en réalité, il est naïf de croire qu’une baisse de 6% en valeur de la masse salariale suffira à restaurer la compétitivité de nos vieilles industries sur la scène mondiale quand on sait que cette diminution aura un impact sur le prix de vente final de l’ordre de 1%. Ou dit autrement, voilà un dispositif qui permettra à un fabricant d’électroménager français de vendre un cuiseur vapeur 99€ au lieu de 100€. Les chinois n’ont qu’à bien se tenir ! Flécher les vingt milliards de réduction d’impôt sur la recherche et l’innovation (sous réserve de réformer le CIR objet de nombreux abus) est en effet probablement plus efficace pour soutenir la compétitivité de notre économie.

Dans le même temps, le dispositif pourrait bien avoir, sur les salaires, des effets secondaires contreproductifs. En effet, à rebours de toute la théorie économique sur les salaires, le plafond du bénéfice du CICE à 2,5 fois le SMIC crée un effet-couperet qui risque fortement de dissuader de toute augmentation de salaire au-delà de ce seuil. Tout cela ressemble à un deal perdant perdant.

Alors que faire ? Ici, les parlementaires et le parti majoritaire doivent jouer leur rôle. Même si les délais sont brutalement accélérés. Il ne s’agit pas tant de s’opposer frontalement au gouvernement que d’introduire, dans le dispositif, la finesse que requièrent la difficile combinaison de l’efficacité et de la justice.

Il faut d’abord réintroduire la notion de contrôle et, par conséquent, de sanction. Car au fond, la règle de bonne gouvernance selon laquelle il n’y a pas d’argent public sans contrôle public doit s’exercer comme une vérité d’évidence. Cela suppose de définir des critères d’éligibilité au dispositif en amont, d’imposer de la transparence pendant, et de prévoir un mécanisme d’évaluation / sanction après. La loi doit donc prévoir des critères pour bénéficier du CICE : le maintien de l’emploi, la non-délocalisation des activités et la localisation sur le territoire national, la stabilisation de la rémunération des dirigeants et l’encadrement des dividendes. Voilà ce qui manque au texte actuellement. Voilà comment les parlementaires socialistes doivent l’amender. L’exercice du contrôle, quant à lui, pourrait relever des partenaires sociaux dont l‘accord serait nécessaire au versement du CICE.

Il faut ensuite se donner les moyens d’atteindre l’objectif économique de renforcement de notre compétitivité. Cela suppose d’affiner les modalités d’utilisation, par les entreprises du CICE, en particulier vers la recherche et l’innovation. Cela suppose aussi, sans doute, d’exclure du dispositif certains secteurs non délocalisables (santé, grande distribution) ou certaines activités spéculatives sur les marchés financiers. Bref, de cibler davantage.

C’est à la fois peu, mais c’est déjà beaucoup. A l’heure où la pression des milieux économiques sur le gouvernement est si forte et le mouvement social si atone, ce sont les parlementaires socialistes qui, s’appuyant sur un PS qui propose, doivent être les porte-voix des couches populaires.

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