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13 janvier 2014 1 13 /01 /janvier /2014 10:56

DEBAT AU SENAT SUR LE PROJET DE TRAITE TRANSATLANTIQUE
LE 9 JANVIER 2014 AU MATIN

Senat-21-300x199.jpgMme Marie-Noëlle Lienemann. Monsieur le président, Madame la ministre, mes chers collègues, je veux d’abord remercier le groupe socialiste d’avoir pris l’initiative de demander un débat sur ce grand sujet qu’est le projet de traité transatlantique.

Je dois à la franchise de dire d’emblée que je suis personnellement très hostile à la conclusion d’un tel partenariat dans les conditions actuelles et au regard des évolutions passées en matière de libre-échange.

Pour autant, dès lors que la négociation est engagée, je vous interrogerai, madame la ministre, sur des éléments clés de cet accord. Notre collègue Bernadette Bourzai a évoqué des points de vigilance ; pour ma part, je parlerai plutôt de verrous, que la France doit être capable soit de lever, soit de fermer.

Si je ne suis pas favorable à ce traité, c’est parce que, comme on dit dans mon village, «chat échaudé craint l’eau froide».

Pour être engagée depuis longtemps dans les débats portant sur ces questions, en particulier à l’échelon européen, j’ai l’habitude des promesses mirifiques sur les bénéfices devant résulter de la généralisation du libre-échange, censée régler nos problèmes de chômage, créer de la prospérité partagée entre les nations et permettre d’améliorer notre standard social. Force est de constater que cette mondialisation heureuse n’a pas eu lieu, parce qu’il s’agit en fait d’instaurer le libre-échange sans limites, sans règles, sans contraintes, où les firmes multinationales disposent d’une autonomie de décision et d’un pouvoir que les États ou les groupements d’États ne sont guère en mesure de réguler.

On nous promet que la signature du traité transatlantique permettra 0,5 % de croissance supplémentaire. Ces grandes promesses m’inspirent les quelques observations suivantes.

D’abord, les modèles économétriques qui les fondent sont très contestés par toute une série d’économistes. Surtout, ils sont invalidés par les enseignements du passé. Je vous renvoie à cet égard à l’Acte unique européen, dont la mise en œuvre devait déboucher sur la création de 20 millions d’emplois et le plein emploi à l’horizon 2015 : c’était du bidon ! De même, pour ce qui concerne l’ALENA, on avait annoncé des créations d’emplois aux travailleurs américains, mais les travaux de chercheurs et de l’AFL-CIO, instance qui regroupe les organisations syndicales américaines, font apparaître qu’il y a eu, au contraire, des destructions d’emplois et, surtout, un dumping social conduisant à un affaiblissement des normes sociales et du niveau des salaires dans les pays concernés.

Je ne vois pas par quel miracle il en irait autrement aujourd’hui, car toutes les évolutions actuelles vont dans le même sens ! Par parenthèse, on nous annonce un hypothétique gain de croissance de 0,5 % pour l’Europe : si l’on mettait en œuvre, plutôt qu’une nouvelle étape d’une dérégulation globale, une politique concertée de relance européenne par la consommation intérieure et l’engagement de grands travaux, il est clair que le surcroît de croissance serait nettement supérieur !

Mme Nicole Bricq, ministre. Nous sommes d’accord !

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Au demeurant, je ne doute pas, madame la ministre, de votre attachement à la mise en place d’une stratégie de croissance européenne.

Par ailleurs, j’entends des cris d’orfraie contre les normes françaises, qui seraient d’une terrible dureté. Je constate que moins il y a de régulation, plus il y a de normes, souvent inadaptées aux réalités du terrain. De plus, ce sont les mêmes qui dénoncent les normes et qui chantent les louanges de l’Union européenne, alors que 80 % des normes sont issues de directives européennes ! Cela serait risible, si cette situation n’avait des incidences terribles pour notre économie nationale.

Dans cette négociation, quels sont les enjeux essentiels et les verrous pour l’Europe et pour la France ?

Premièrement, j’évoquerai les normes sociales et environnementales. On entend toujours les mêmes discours lénifiants sur la préservation de nos acquis communautaires, mais, concrètement, comment être sûrs que nous ne serons pas contraints, par exemple, d’accepter l’importation de produits OGM ? Comment être sûrs que les normes européennes seront préservées ? Comment être sûrs que toutes les normes de l’Organisation internationale du travail seront bien respectées par l’ensemble des signataires, même si elles ne suffisent d’ailleurs pas, hélas ! à limiter le dumping social ?

Deuxièmement, la désindustrialisation nous menace. Si l’Europe peut tirer globalement de la mise en place du partenariat un certain bénéfice en termes de croissance, la situation sera très différente selon les secteurs industriels et les pays.

D’ailleurs, madame la ministre, si l’étude d’impact de la Commission européenne nous laisse entrevoir le bonheur qui nous attend, elle indique cependant que certains secteurs subiront un choc initial, et d’autres un choc durable. La liste des secteurs concernés permet de mesurer à quel point ces chocs affecteront la France : viande, engrais, bioéthanol, machines électriques, équipements de transport – un domaine où nos positions sont particulièrement fortes –, métallurgie, bois, papier, services d’affaires, communication, services personnels… La Commission européenne indique qu’« il pourrait y avoir des coûts d’ajustement substantiels et prolongés. Il est clair que, même si la main-d’œuvre a la possibilité d’affluer dans les secteurs où la demande augmente, il y aura des secteurs où les pertes d’emplois seront importantes ». Excusez du peu !

La France et, d’une manière générale, les pays du sud de l’Europe seront touchés de plein fouet. En effet, la logique du libéralisme veut que le fort devienne plus fort, le faible plus faible, l’intermédiaire étant écartelé entre les deux. Dans ces conditions, comment allons-nous protéger nos secteurs industriels ? Quelles stratégies défensives allons-nous mettre en œuvre pour parer aux menaces décrites par la Commission européenne elle-même ?

Enfin, plusieurs des orateurs qui m’ont précédée, en particulier Daniel Raoul, ont mis l’accent sur le risque que les intérêts des investisseurs prévalent sur les choix démocratiques.

Madame la ministre, le gouvernement de Lionel Jospin avait refusé l’AMI. Je considère que le gouvernement de Jean-Marc Ayrault doit refuser que les investissements soient inclus dans le champ du partenariat transatlantique. En effet, nous savons d’expérience qu’il arrive souvent que des États soient condamnés à dédommager des firmes multinationales dont l’activité a été affectée par des changements de réglementation, par exemple dans les domaines sanitaire ou foncier. Il me semble donc que nous devrions tout de suite dire à nos partenaires que nous refuserons de ratifier un accord qui prévoirait la mise en place d’un tel mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États.

Mme Nicole Bricq, ministre. Nous l’avons dit !

Mme Marie-Noëlle Lienemann. C’est une question de respect de la souveraineté et de la démocratie : s’agissant du bien commun et des services publics, il appartient aux peuples de décider.

Enfin, je voudrais évoquer le mécanisme de décision : pourquoi cette absence de transparence ? D’ailleurs, nous ne disposons toujours pas du texte de l’accord avec le Canada. Qu’y a-t-il donc à cacher ?

Mme Nicole Bricq, ministre. C’est une question de traduction !

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Au Canada, par contre, les provinces et le Parlement ont été informés.

M. André Gattolin. Absolument !

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Si l’Union européenne fait le silence, c’est parce que cet accord permet au Canada de gagner des parts de marchés dans des secteurs importants pour notre pays, comme la production porcine, la production bovine ou la sous-traitance automobile.

Je suis favorable à la défense des indications géographiques, mais, en termes d’échanges mondiaux, les produits couverts par celles-ci, tel le roquefort, représentent des cacahuètes par rapport à ce que nous perdons dans les secteurs que je viens de citer ! On nous accorde quelques hochets pour nous faire accepter une dérégulation qui frappera tout particulièrement la France et les pays du sud de l’Europe.

En conclusion, je suis favorable au développement des échanges et du commerce, car il constitue en effet une source d’enrichissement, mais à condition qu’il s’opère dans la justice, l’équité, au travers d’une négociation entre les États ne mettant pas en jeu des pouvoirs supranationaux qui s’imposeraient à la souveraineté populaire.

J’éprouve les plus vives inquiétudes, mais je sais, madame la ministre, votre détermination personnelle à défendre les intérêts de la France et à promouvoir une mondialisation mieux régulée. À défaut de donner un coup de pied dans la fourmilière, comme je le souhaiterais pour ma part, mettons au moins des verrous pour être sûrs que, in fine, nous n’en serons pas réduits à accepter l’inacceptable ! (MM. Michel Billout, Jean-Pierre Chevènement et André Gattolin applaudissent.)

pour lire l’ensemble du débat et les interventions des autres orateurs : http://www.senat.fr/seances/s201401/s20140109/s20140109003.html

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