L’intermittence : pierre angulaire de notre politique culturelle
L’Etat français soutient la culture. 1981, Jack Lang. 1956, André Malraux. Mais avant eux déjà, Louis XIV soutenait la création, le spectacle vivant : des commandes de pièces à Molière à la création des ballets, c’est cette longue histoire qui crée notre idée, chèrement défendue par Aurélie Filippetti de l’Exception Culturelle française.
Le régime de l’intermittence a été créé pour permettre aux techniciens de cinéma de bénéficier de périodes d’indemnité chômage entre deux tournages : le régime général du chômage ne permet pas d’en bénéficier après des périodes de 4 ou 8 semaines de travail entrecoupées de périodes toutes aussi longues d’inemploi. Il fut élargi aux techniciens puis artistes de théâtre, puis aux chorégraphes. Les conditions sont depuis 2003, de cumuler 507 heures ou 43 cachets de 12 heures déclarées sur une période de 10 mois au lieu de 12 mois avant 2003. Leur base de cotisation est supérieure puisque les conditions d’indemnisations sont différentes. Ils cotisent plus, pour être indemnisés moins longtemps mais après de plus courtes périodes de travail. Ils font partie des travailleurs précaires temporels.
Monter un spectacle ne se fait pas que sur scène, il y a l’écriture, la recherche de producteurs, la recherche de collaborateurs puis d’acheteurs… ces activités-là sont rarement rémunérées mais demandent une attention toute particulière sur chaque projet. Ce régime spécifique permet à des petites structures, à des travailleurs du spectacle vivant des classes moyennes ou inférieures de ne pas avoir à trouver, comme cela se fait souvent à l’étranger, un emploi alimentaire en dehors des moments de représentations ou de tournées. Cela permet de les rendre disponibles à la création de nouveaux projets, mais aussi aux tournées dans des lieux alternatifs (maisons de retraite, écoles…) ou au travail avec les collectivités territoriales sur l’éducation à l’art.
Tous les artistes ne sont pas concernés par le régime de l’intermittence, comme les auteurs ou plasticien. Mais tout artiste est concerné par des politiques culturelles de diffusion et de soutien à la création comme le prix unique du livre, le soutien aux maisons d’éditions, aux centres d’arts et d’expositions…
Pourquoi serait-ce un problème, qu’il n’y ait plus de culture en campagne ou hors des lieux institutionnels ? Pourquoi serait-ce un problème, qu’il n’y ait plus de festivals en été ?
Le premier problème c’est d’abord l’éducation, l’ouverture, la non-exclusion d’une partie de la population sous le prétexte d’éloignement des grandes institutions culturelles. Dans la « refondation de l’école » chère à François Hollande durant sa campagne présidentielle, la part de l’Education Artistique et Culturelle était prépondérante : c’était le dernier des Grands Travaux engagé par l’Etat. L’Education Artistique et Culturelle devait mettre en route le plus beau moteur pour un pays en fonctionnement : la curiosité. Mais elle est en panne de moyens logistiques et financiers. Et la réforme du régime d’allocation des intermittents va sans doute la priver d’encore plus d’intervenants de qualité.
Le deuxième est que le tourisme est la première industrie française et que la culture contribue à son essor. L’art n’a rien à voir avec l’animation, mais avoir des propositions artistiques anime un lieu et le rend attractif. Les retombées économiques des activités culturelles sont trop importantes pour réduire ce milieu quelques personnes favorisées mais en colère. Ce sont des gens qui travaillent souvent bien plus que les heures dues et sont souvent sous rémunérés par rapport aux retombées financières que leur activité permet.
Le régime d’allocation chômage porté par les annexes 8 et 10 est à réformer, personne ne dit le contraire. Mais les réponses apportées par le Gouvernement pour la sortie de crise apportent des perspectives insuffisantes qui ne répondent que partiellement aux problèmes posés même s’il faut saluer la voie de la médiation et de l’apaisement choisie par le Premier Ministre. Palier au report ad vitam de la loi sur la création par un simple maintien de ses budgets ne peut être une solution. Car le régime de l’intermittence n’est pas un soutien à la création. Le régime de l’intermittence est un soutien, via la solidarité interprofessionnelle, à des travailleurs dont la forme même du travail est obligatoirement discontinue et avec de multiples employeurs. Le confondre avec un soutien à la création reviendrait à confondre recherche et production. Aucune politique industrielle correcte ne se permettrait de les confondre.
Quelle sortie d’impasse ?
La nécessité de passer par cette commission dirigée par Jean-Patrick Gille montre la difficulté de mettre en place une efficace démocratie sociale en France. En effet, la Coordination des Intermittents et Précaire (CIP) existe depuis 2003 et a depuis formulé bon nombre de propositions pour améliorer ce statut afin d’éviter de repasser par la grève et la rue encore une fois en 2014. Pour autant, elle ne fut pas invitée à la table des négociations, puisque l’UNEDIC revoit tous les régimes d’assurance chômage avec les partenaires sociaux, sans changer les intervenants au moment de la négociation des annexes VIII et X.
Peu de syndicats présents à cette table ont une branche culture représentative. Et dans ceux-ci, peu invitent leurs dirigeants de ces branches là pour parler de ces deux annexes.
Nous devons donc nous poser la question, à l’heure où la démocratie sociale se voudrait être la base du travail politique, de sa constitution détaillée. Nous voyons que pour ce point-ci particulier, ce n’est pas une incompréhension entre la base et les cadres le problème mais simplement un problème de représentativité syndicale. Pour autant, le monde du spectacle est éminemment politique et politisé, il ne se reconnaît en revanche pas souvent dans les structures préexistantes.
Le conflit des intermittents parle donc de nous, de notre société en mouvement dans des institutions immobiles. Nous avons besoin de réformes. Ce conflit nous dit que des gens se battent toujours pour travailler, même si leur travail ne produit que du bonheur, de l’intelligence et de l’ouverture d’esprit : ils ont décidé que c’étaient des valeurs suffisamment importantes pour se battre. Nous ne sommes pas dans une société d’assistés. Ce conflit dit de nous qu’il ne faut oublier personne dans notre bataille, oublier aucun territoire, aucun recoin, aucun public. Le Peuple de Gauche appelle la solidarité et le vivre ensemble. Ce conflit dit de nous qu’il faut réinventer une manière de construire ensemble, politiques, syndicat et citoyens : construire une société intelligemment décente.
Charlotte Picard