article publié dans Combat Socialiste n°3 - mai 2013
Hervé Le Bras et Emmanuel Todd, Le Mystère français, Seuil, La République des idées, 2013
Plus de 30 ans après leur ouvrage commun, L’Invention de la France, Emmanuel Todd et Hervé Le Bras reviennent pour cosigner un livre visant à répondre aux interrogations suscitées par la situation paradoxale que présente la France d’aujourd’hui : décrite comme rongée par le pessimisme, en proie à de mauvais indicateurs économiques (croissance en berne, explosion du chômage), d’autres indicateurs montrent pourtant que le pays pourtant ne va pas si mal.
La population française bénéficie d’un haut niveau éducatif général, d’une forte espérance de vie, de l’un des taux de natalité les plus élevés en Europe (malgré la démocratisation des moyens de contraception), mais aussi un taux de suicide en baisse dans quasiment toutes les classes d’âges !
Todd et Le Bras se proposent de réaliser une approche matérialiste du territoire national en croisant des données peu souvent exploitées : pratiques religieuses, types d’habitat, traditions familiales, tout y passe ! Les 120 cartes et 14 tableaux abondamment commentés font l’analyse du changement social perçu depuis ces 30 dernières années sous l’effet de la mondialisation, et qui s’est manifesté par l’émancipation des femmes, les migrations, la crise industrielle…
Tout cela en lien avec des déterminants anthropologiques et religieux très anciens, que l’on croyait perdus mais en réalité toujours d’actualité.
On retrouve au final l’habituelle opposition entre la France de la Révolution de 1789 et une France périphérique dont on identifie les valeurs catholiques organisatrices en tant que puissance sociale, à défaut d’une pratique religieuse ; c’est ce qu’ils nomment le « catholicisme-zombie » ! Mais contrairement aux tendances observées depuis le XIXe siècle, c’est la France chrétienne qui s’en sort le mieux cette fois. Plus grande surprise encore, dans un pays qui se « droitise », cette France vote à gauche ! Et François Hollande a gagné l’élection présidentielle, notamment parce que les territoires historiquement catholiques ont voté pour lui en mai 2012.
La droitisation de la société est due, certes, à un vieillissement de la population, mais aussi à l’inversion de la pyramide éducative, qui se manifeste par une peur du déclin au sein de la tranche de la population moyennement éduquée.
Ainsi, le Front national capte les voix contestataires d’une population attachée à l’égalité, et peu sensible aux vieilles antiennes sécuritaires et anti-immigration.
Mais le FN est coincé entre deux discours contradictoires, ce qui laisse à penser que Marine Le Pen a atteint un plafond de verre, les deux acteurs arguant que « le phénomène FN est navrant mais nullement terrifiant, puisque clairement limité dans sa capacité d’expansion ».
En conclusion et en écho à l’article de Rémy Hautin du mois dernier, Todd et Le Bras affirment que c’est finalement de la radicalisation de la droite classique qu’il faut le plus s’inquiéter.
Axel CALVET