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10 décembre 2012 1 10 /12 /décembre /2012 13:25

Écrit par Vincent Kerrault 

flormittalL’enfumage du gouvernement par le groupe Arcelor-Mittal met les socialistes au pied du mur : choisir une stratégie industrielle offensive et risquée, ou assumer la désindustrialisation du pays. Dans un cas comme dans l’autre, ils doivent maintenant assumer un vrai choix devant les Français.

Inutile de tourner autour du pot, ou de prendre des précautions de langage : l’accord passé entre le gouvernement français et le groupe Arcelor-Mittal est un fiasco pour la majorité socialiste. Jean-Marc Ayrault s’est fait rouler dans la farine, il doit maintenant réagir, ou en tirer les conséquences.

La séquence parait a posteriori aussi surréaliste, mais bien moins drôle, que la bataille Copé-Fillon à l’UMP. Le devenir des métallos de Florange est un symbole depuis la campagne présidentielle : symbole d’un Sarkozy qui promet plus qu’il ne tient, symbole d’un candidat socialiste debout sur une camionnette à l’écoute des ouvriers, symbole d’une industrie française qu’Arnaud Montebourg veut sauver, symbole de la lutte sans merci que le gouvernement mènera contre les patrons-voyous qui ferment des sites pourtant rentables au prétexte qu’ils le sont moins que d’autres ailleurs.

Malgré ce contexte particulier, attirant l’attention médiatique et la compassion des Français, le gouvernement a réussi en l’espace de quelques jours à montrer l’étendue de son amateurisme et de sa naïveté face au groupe sidérurgiste. Nationalisation temporaire, puis Montebourg sur la touche, puis accord a minima suivi d’un cocorico absurde du premier ministre face à la stupéfaction des syndicalistes, et maintenant le coup de grâce assené par Arcelor-Mittal se débarrassant comme d’un vulgaire déchet du projet Ulcos, unique planche de salut prévue par le gouvernement en vue du redémarrage des hauts fourneaux de Florange.

Une partie du parti socialiste prend fait et cause pour les salariés, et plaide pour la solution de nationalisation. Le reste, effrayé de sa propre audace de la semaine dernière, se défausse en faisant rimer nationalisation avec arme de dissuasion qu’il est bien évidemment absurde d’envisager sérieusement : belle dissuasion que voilà ! Espérons que cela n’est pas la façon dont le président Hollande considère la dissuasion nucléaire : la crédibilité d’une arme suppose que son détenteur soit prêt à l’utiliser !

Compétents ? Conscients ? Conséquents ?

Toute cette séquence ouvre un abîme de réflexions quant à la nature réelle du pouvoir socialiste de 2012. On peut faire un procès d’incompétence tout d’abord. Les ouvriers de Florange ne défendaient pas uniquement leurs emplois. La fixation sur le redémarrage des hauts-fourneaux, là où l’acier est fabriqué et pas seulement transformé en boites de conserves ou autres produits semi-finis, n’est pas anodine : c’est l’industrie, le métier, qui compte, pas seulement le contrat de travail. Comment le gouvernement a-t-il pu croire satisfaire les syndicats en signant un accord ne prévoyant pas formellement le redémarrage des hauts-fourneaux ? Comment a-t-il pu faire dépendre ce redémarrage d’un projet dont Arcelor-Mittal pouvait, sans contrevenir à l’accord, abandonner ?

Après l’incompétence vient l’inconscience. Nationalisation partielle présentée par Arnaud Montebourg à l’Assemblée nationale, repreneur annoncé et puis, quelques jours plus tard, on découvre la position du Premier ministre, et celle de Bercy : ce n’était que pour faire peur à Mittal, un chiffon rouge agité, mais évidemment aucune personne sérieuse ne pouvait considérer une minute cette solution comme une option crédible ! Quoi ? Un ministre de la République présente devant l’Assemblée nationale l’hypothèse d’une nationalisation temporaire et ce n’était pas pour le Premier ministre une option sérieuse ? Joue-t-on ainsi avec l’espérance des ouvriers de Florange, avec la colère anticipée du Médef, avec les réactions internationales sur l’orientation politique de la France ? Trop cher, nous dit-on aujourd’hui ? N’avait-on pas fait le calcul avant que de laisser Arnaud Montebourg parler ?

Tout ceci dénote une inconséquence crasse, un mépris des hauts-fonctionnaires des cabinets ministériels pour le petit peuple qu’on amuse à bon compte, tout en se délectant à l’avance de la mine piteuse que fera le ministre trop beau-parleur désavoué à l’heure des choix sérieux. Règlements de compte entre étages à Bercy ! Mais, de fait, un mépris égal pour la démocratie et les représentants élus à l’Assemblée nationale, pour les médias, pour le peuple de France pour qui le devenir de Florange est on ne peut plus sérieux. Une inconséquence aussi vis-à-vis de l’industrie que l’on dit vouloir redresser mais qu’au fond on ne connait pas et qu’on serait bien incapable de diriger si d’aventure elle devenait subitement entreprise publique !

L’ironie de l’histoire…

Car enfin, quelle est l’orientation de ce gouvernement ? On promet de réindustrialiser, mais avec un ministre dont le seul portefeuille est manifestement celui de la parole ! Quel cap ? Quels moyens ? Les socialistes doivent maintenant choisir.

La difficulté est que ces questions sérieuses ont été trop longtemps laissées sous le tapis. Usinor et Sacilor furent nationalisées en 1981, ce qui n’a d’ailleurs manifestement pas ruiné leurs actionnaires de l’époque, la famille Wendel : celle du baron Seillière futur patron du Medef, qui détenait une large part de la sidérurgie française avant Mitterrand. Puis, fusionnées, elles furent privatisées par Juppé en 1995 en continuation d’un projet préparé sous la seconde cohabitation par le premier ministre Balladur et son ministre de l’industrie Madelin. L’entreprise valait cher, à l’époque. Ensuite, ce fut l’heure de l’Europe, du « big is beautiful », il fallait des champions plus gros pour peser dans la compétition internationale. Les grands groupes français achetaient des entreprises partout dans le monde, on se souvient d’EDF en Allemagne, au Royaume-Uni, du Vivendi de Messier… Côté sidérurgie, ça a été en 2001-2002 la fusion d’Usinor-Sacilor avec un groupe luxembourgeois et un espagnol pour réaliser le champion Arcelor. A l’époque, Jospin était premier ministre, DSK à l’économie et à l’industrie, Francis Mer patron du groupe, bientôt fugace ministre lui-aussi sous Raffarin après le 21 avril… A l’époque déjà, un plan stratégique prévoyait la fermeture de Florange en 2009 ou 2010…Et l’inquiétude des syndicats, jamais écoutés bien sûr : comment un ouvrier de la CGT pourrait-il avoir raison contre tous ces brillants esprits issus de l’ENA ou du Corps des Mines ?

Arcelor ! Né en 2002, mort en 2009 : beau champion européen que ce champion-là, qui vit 7 ans et tombe comme une merde sous le coup de l’OPA hostile lancée par Mittal. Pour plus de 25 milliards d’euros quand même : les actionnaires privés d’Arcelor de l’époque doivent encore avoir quelques beaux restes dans leurs comptes en Suisse, contrairement aux ouvriers du groupe...

Pour l’anecdote, une des branches du groupe devait être vendue car pas assez rentable. C’était en 2002. Cela concernait CMI, aujourd’hui Cockerill Maintenance et Ingénierie, un des restes du grand groupe Cockerill, étendard historique de la sidérurgie belge de Liège. Bernard Serin, patron de la branche belge d’Usinor-Sacilor, opposé à la création du grand machin Arcelor, propose alors de reprendre personnellement CMI plutôt que de le laisser vendre à la découpe. CMI est aujourd’hui rentable, et cité comme potentiel candidat à la reprise de Florange : ironie de l’histoire qui privilégie manifestement les vrais patrons industriels aux combinazione des actionnaires internationaux alliés aux administrations publiques infestées par l’idéologie libérale. Ou celle, non moins dangereuse, que nous avions dénoncée il y a dix ans déjà, du social-défaitisme. Vingt ans d’incurie politique, vingt ans de laisser faire et d’impuissance résumée par Lionel Jospin dans son fameux « l’Etat ne peut pas tout » : voilà ce que l’on doit aujourd’hui, soit continuer, soit stopper.

L’heure des choix.

Nommer Montebourg au gouvernement ne sert à rien s’il n’y a pas de ligne commune, mais qui va produire une ligne, aujourd’hui ? Il est difficile, hélas, de faire confiance à Jean-Marc Ayrault et François Hollande pour réaliser, dans l’urgence, l’aggiornamento nécessaire de la gauche. Un aggiornamento qui n’est pas l’abandon du « surmoi marxiste », depuis longtemps enterré, mais l’abandon du social-défaitisme.

Chirac, Sarkozy et Hollande sont plus proches qu’il n’y parait, derrière des orientations politiques opposées. Tous trois ont le don de louvoyer, de chercher des compromis improbables, des synthèses artificielles. Ce sont les champions de la subtilité politique, du tout et son contraire, affirmé avec des styles spécifiques, et un centre de gravité idéologique bien entendu très différent. Maladie de la démocratie médiatique moderne ? Punition méritée pour un peuple français ingouvernable ? Questions passionnantes qu’il faudrait approfondir dans un autre cadre ! Quoi qu’il en soit, pendant toutes ces présidences pleines d’un gloubi-boulga idéologique indigeste, l’air du temps fut au désengagement de l’Etat, et il n’est pas facile de réinventer aujourd’hui une politique industrielle.

On pourrait ici proposer quelques pistes. D’abord, ne pas tout confondre. Car enfin, on parle des 600 de Florange, mais qu’en est-il des millions d’autres, intérimaires, précaires, employés de petites PME et de sous-traitants ? Sans leader syndicat talentueux, sans usine emblématique, sans médias, abandonnés de tous ! La politique sociale est une chose, la politique industrielle en est une autre. Et au sein de la politique industrielle, il y a des actions générales, utiles à toute l’industrie, et des actions spécifiques par filière.

Au niveau de la politique générale, s’il n’est pas du devoir de l’Etat de nationaliser toute entreprise qui licencie, le gouvernement peut par contre faire passer la loi promise (à Florange !) sur l’obligation de chercher un repreneur pour un site destiné à être fermé. Il peut aussi interdire les licenciements sur les sites rentables, ou encore développer enfin la démocratie sociale de telle sorte que les représentants des personnels pèsent enfin dans les choix stratégiques des entreprises privées.

Après, il peut exister des filières véritablement stratégiques. La sidérurgie est-elle une activité de cette nature ? On aurait tendance à répondre oui. Si le gouvernement pense que non (après-tout, on a fini par fermer toutes les mines de charbon), il pouvait l’expliquer aux Français, et aux salariés de Florange. Ayrault, ou Sarkozy avant lui, auraient pu avoir ce courage, et dire : « Je ne pense pas que préserver ces hauts-fourneaux soit stratégique pour la France donc ne vous faites pas d’illusion, je ne vous suis pas sur la revendication de redémarrer les hauts-fourneaux. Cette décision est du ressort de votre entreprise, pas du gouvernement. Par contre, nous allons nous battre avec vous pour éviter les licenciements ». A l’inverse, si cette activité est stratégique, si l’industrie française est véritablement au cœur de l’orientation du gouvernement, alors il faut que l’Etat se dote d’outils politiques à la hauteur des enjeux. La nationalisation est une possibilité, et pas seulement de façon temporaire ! Les prises de participation sont également une option, le fonds stratégique pour l’industrie, qui devient la fameuse banque publique de l’industrie, est justement là pour ça. Cela suppose que l’état actionnaire agisse au nom d’une politique industrielle, et pas uniquement comme un actionnaire privé lambda cherchant à optimiser la rentabilité de son capital. On n’en prend hélas pas le chemin, avec l’annonce de l’abandon par le gouvernement de ses droits de votes particuliers dans EADS/Airbus

Appel de la gauche à la Nationalisation temporaire, et après ?

La gauche peut encore choisir la voie du courage. L’appel à la nationalisation de Florange est une bonne initiative, d’une part parce que le gouvernement est allé trop loin sur ce terrain-là pour reculer maintenant surtout après le camouflet infligé par Arcelor-Mittal à Jean-Marc Ayrault, d’autre part parce que l’acier est une industrie stratégique, et enfin et surtout parce que dans ce bras de fer entre la finance internationale et les ouvriers sidérurgiques le choix doit être maintenant fait de manière ferme et affirmée.

Mais cet appel, d’une partie du PS, ne suffit pas. Il faut aussi choisir entre une nationalisation de long terme et une nationalisation temporaire avant cession à un autre actionnaire privé, en maintenant ou pas une part de capital publique. Il faut aussi préciser le périmètre, Arcelor France ou simplement Florange. Il faut aussi dire si l’état actionnaire redémarrera ou pas les hauts-fourneaux ; il faut aussi demander une commission d’enquête parlementaire pour que l’on comprenne enfin qui a décidé quoi et à quel moment au sein du gouvernement ces dernières semaines ; il faut aussi instruire le procès en incompétence, inconscience et inconséquence du gouvernement ; il faut aussi voter les lois nécessaires pour limiter les plans sociaux uniquement justifiés par des intérêts financiers privés à court terme, lois qui prévoiront un cadre clair pour les futures nationalisations ; il faut aussi se battre pour un protectionnisme européen social et environnemental ; il faut aussi mettre sur pied, aussi vite que possible, une nouvelle doctrine de politique industrielle. Et ensuite, tenir le cap.

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