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21 mars 2011 1 21 /03 /mars /2011 16:30

Les résultats du premier tour des élections cantonales du 20 mars 2011 doivent impérativement tirer le Parti socialiste du nombrilisme morbide, dans lequel la perspective de primaires ouvertes, l'attente de la candidature interne de poids lourds plus ou moins lointains et l'assurance du rejet de Nicolas Sarkozy par les Français l'avaient replongé.

 

S'il veut être au centre de l'alternative de gauche en 2012, le PS va devoir réagir et ne pas se laisser bercer par un certain confort des élections locales intermédiaires.

 

Quatre jalons électoraux à retenir

Il y a ceux qui - à gauche - regarderont les résultats du premier tour des cantonales avec contentement. Ils liront dans les résultats que la gauche parlementaire obtient 48,73 % des suffrages, contre une droite parlementaire à 32,06 % et - il est vrai -une remontée quelque peu désagréable du Front National à 15 %. Malheureusement la réalité du scrutin est moins accommodante.

Tout d'abord parce que l'abstention a atteint 55 % ce dimanche ; il est vrai que pour la première fois depuis longtemps, les élections cantonales n'étaient pas couplées avec un autre scrutin local (municipales ou régionales), cependant rappelons que les précédents scrutins de 2008 (Municipales), 2009 (Européennes) et 2010 (Régionales) n'ont pas particulièrement mobilisé les foules non plus et que la sanction enregistrée à chaque fois (en 2009, c'est Europe-Écologie qui en avait profité) par le parti présidentiel le fut essentiellement par la désertion de l'électorat de droite, visiblement dépité par les piètres prestations de celui qu'ils avaient porté aux nues et à l'Élysée en 2007.

Marine Le Pen et Jean-Marie Le Pen, dimanche soir (AFP)Ensuite parce que l'abstention et la progression spectaculaire du vote d'extrême droite confirment aux organisations politiques parlementaires que la gauche- et plus exactement le PS - n'est pas forcément le débouché naturel du mécontentement populaire qui s'exprime face à l'échec et à la nocivité de la politique économique et sociale de Sarkozy-Fillon. La progression du FN est d'autant plus spectaculaire que le parti présidé par Marine Le Pen réunit 15 % au niveau national en n'ayant présenté des candidats uniquement dans les deux tiers des cantons renouvelables. Si l'on ne tenait compte que de ces seuls cantons, le score de l'extrême droite atteindrait entre 19 et 20 %. Par des effets de manches, Marine Le Pen a su prendre en compte l'attente d'un certain nombre d'électeurs des catégories populaires en terme de protection sociale ; en tout cas, si tous les observateurs savent qu'elle n'est pas sincère sur ce terrain, elle le martèle assez régulièrement pour que cela touche un électorat qui a déjà pu voter FN précédemment au moins une fois dans sa vie électorale.

Enfin, avec 25 %, le score du Parti socialiste reste en deçà de ce à quoi l'on aurait pu s'attendre pour le parti pivot de la gauche et autour duquel devrait s'articuler l'alternance ou l'alternative à Sarkozy. Avec un niveau de rejet jamais atteint par le pouvoir de droite, le PS atteint difficilement son score maximum. Le PS français n'a jamais rivalisé avec ses voisins suédois, britanniques ou allemands qui flirtaient voici quelques années encore avec 30/35 % en basses eaux et 40/45 % lors des victoires ; c'était des partis dominants respectivement dans leur champ politique national, alors que le PS devait faire face à un parti communiste puissant et structuré qui tournait encore dans les années 1970 entre 15 et 20 %. Aujourd'hui, les partenaires du PS sont dispersés en de nombreux morceaux - Europe-Écologie Les Verts, PCF, PRG, MRC, PG - bien que les derniers scrutins aient donné quelques perspectives pour les Écologistes, et que ces cantonales ont redonné un peu de vigueur au Parti communiste français dans l'alliance du Front de Gauche (PCF/PG/Gauche unitaire). Mais ces résultats intermédiaires pourraient s'avérer être des feux de pailles et le PS ne peut raisonnablement espérer créer une dynamique à gauche qu'en dépassant régulièrement les 25 % et en flirtant avec les 30 %.

 

La Droite conservatrice et réactionnaire a conquis les imaginaires

Dans leur essai Voyage au bout de la droite : des paniques morales à la contestation droitière, publié le 2 mars 2011, les sociologues Gaël Brustier et Jean-Philippe Huelin ont analysé ce qui semble bien être une évolution profonde des droites européennes et américaines, dans laquelle les bouleversements de la droite française peuvent parfaitement s'insérer.

L'imaginaire contestataire qui a longtemps trouvé dans les idéaux de la gauche les voies de son expression semble depuis quelques années s'être déporté à droite. Néo-conservateurs américains, nationaux-populistes européens, tout ce qui fustige une certaine « bien-pensance » solidaire et droit-de-l'hommiste apparaît aujourd'hui comme le sommet de la contestation. La caricature de cette nouvelle « rebelle attitude » c'est l'accueil fait à Éric Zemmour par un imposant parterre de parlementaires UMP, qui le présentaient comme la nouvelle « victime » tombée au champ d'honneur de la liberté d'expression. Les exclus de nos systèmes de protectionabimés(jeunes ruraux, chômeurs urbains) sont à nouveau disponibles pour être manipulésà la façon du Lumpenprolétariat par une petite élite ultra-libérale, conservatrice, réactionnaire ou nationaliste au choix, selon la conjoncture spécifique de chaque État.

Le risque FN est aujourd'hui majeur et réel ; son discours a imprégné le débat public et les esprits de nombreuses catégories sociales défavorisées. C'est ce que Robert Badinter avait nommé à la fin des années 1990 la « Lepénisation » des esprits. On l'a trop rapidement enterré ; il ne suffit pas de constater un recul électoral momentané pour s'assurer que les dégâts psychologiques n'ont pas laissé de séquelles durables. Ces gens-là ont pu le faire car ils proposent une vision du monde facilement exprimée et assimilable.

Le De fait, en jouant sur la demande légitime de protection sociale des Français, et en continuant à mettre la pression sécuritaire sur la droite parlementaire, Marine Le Pen, avec une image plus policée que son père (ce n'est pas une antisémite assumée), pourrait décrocher le jackpot. Claude Guéant, Brice Hortefeux, Éric Besson et Nicolas Sarkozy, lui-même, n'ont de cesse d'emprunter au FN, sa rhétorique, ses arguments, sa politique, sur les questions de sécurité et d'immigration, légitimant du même coup le discours et les solutions de ce parti. Les dirigeants parlementaires et partisans de l'UMP, Christian Jacob et Jean-François Copé, renvoient depuis plusieurs semaines dos à dos la gauche et le FN, expliquant qu'ils sont tout autant éloigné des « valeurs » des uns et des autres pour justifier le refus d'un quelconque Front républicain. Tout cela en organisant en parallèle des débats qui vise à stigmatiser les cibles traditionnelles de la vindicte nationale-populiste. La logique est évidente ; au rythme où nous avançons, avec en souvenir les expérimentations politiques que Nicolas Sarkozy avaient lancé entre 2005 et 2007 à la tête de l'UMP puis pendant la campagne des élections présidentielles, c'est un schéma à l'italienne qui se prépare. La gauche française doit sortir d'une certaine naïveté qui veut faire croire à l'existence fictionnelle d'une « droite supposée républicaine », à qui l'on pourrait apporter ponctuellement son soutien pour faire barrage au Front national. De droite dite « républicaine », il ne reste de fait que « République solidaire », le Modém, le Parti radical et le Nouveau Centre, c'est bien peu.

Les principaux leadersde l'UMP préparent lentement les esprits pour faire tomber une frontière déjà bien poreuse entre le Front National marinisé, qu'ils qualifieront bientôt de respectable, et eux.

 

Reconquérir les imaginaires collectifs : un préalable à la transformation sociale

Comme le rappellent Huelin et Brustier, Gramsci explique qu'une force politique ou un groupe social ne peut prendre le pouvoir durablement sur une société donnée pour la transformer profondément, sans y avoir préalablement établi son hégémonie culturelle. Léon Blum rappelait le 27 décembre 1920 à la tribune du congrès de Tours que la manipulation politique des masses inorganisées et dépolitisées exposaient à des déconvenues majeures : « Nous savons, en France, ce que sont les masses inorganiques. Nous savons derrière qui elles vont un jour et derrière qui elles vont le lendemain. Nous savons que les masses inorganiques étaient un jour derrière Boulanger et marchaient un autre jour derrière Clemenceau… »

La Gauche doit donc convaincre en profondeur la société française de la pertinence et de la justesse de sa vision, de sa prééminence sur celle de toutes les droites confonduesfondée sur les peurs, l'égoïsme et l'agression. Notre principale difficulté reste donc encore de clarifier notre discours ; malgré la richesse des débats qui peuvent exister dans la gauche personne ou presque n'y est capable de présenter simplement une « vision du monde » cohérente et de la faire assimiler. Plus grave, aujourd'hui, sous prétexte que nous aurions gagné, au gouvernement et dans les collectivités territoriales, nos galons de bons gestionnaires, nombre de nos camarades nous veulent nous interdire de présenter un projet qui soit capable d'enthousiasmer les classes populaires et une bonne partie des classes moyennes au bord du déclassement. En 2011/2012, le « devoir de grisaille », la revendication d'une supposée justesse de la « rigueur de gauche » face à la « rigueur de droite », cela revient tout simplement à condamner la gauche à ne jamais reconquérir ces classes sociales, car nous refuserions de répondre à leur légitime exigence de protection sociale.

À l'issue d'une réunion, Martine Aubry, Cécile Duflot et Pierre Laurent ont appelé ensemble au rassemblement. Nous avons très peu de temps pour réagir - à peine quelques semaines - avant d'avoir très peu de temps pour convaincre - à peine quelques mois. Et en parallèle, la Gauche doit relever le défi d'apprendre à devenir solidaire. Elle doit impérativement comprendre que les conditions de sa victoire dépendront des modalités qu'elle choisira pour faire son unité. Évidemment la nature et la portée du projet que porteront les socialistes facilitera ou compliquera d'autant plus la voie du rassemblement. Mais celui-ci au regard des enquêtes d'opinions, vérifiées dans les urnes ce 20 mars, n'en est que plus impérieux et nécessaire. Il est urgent que nous ayons un projet pour faire reculer le Front National, il est urgent que la gauche s'unisse pour faire reculer les idées du Front National.

Car disons le ici une fois pour toute, il n'est pas acceptable que certains de nos camarades se satisfassent d'un 21-Avril à l'envers en 2012 ; j'entends déjà la petite musique feutrée de certains, le candidat de gauche enfin déclaré face à Marine Le Pen au 2nd tour de la présidentielle, voilà une situation qui nous éviterait d'avoir à courir après les voix de la gauche, voilà qui nous éviterait de porter un programme trop marqué à gauche, voilà qui ne nous obligerait pas à des dépenses trop importantes pour reconstruire la protection sociale et le système de solidarité nationale. Remporter l'élection de cette manière ne permettrait pas de transformer la société française et de peser sur la construction européenne ; et ne pas répondre aux attentes sociales des Français nous prépareraient des lendemains plus tragiques que nos matinées post-électorales de mars 2011.

 

Frédéric Faravel
Secrétaire fédéral aux relations extérieures du PS Val-d'Oise

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commentaires

P
<br /> Bonjour<br /> <br /> Je partage ton analyse et au combien ton pessimisme sur ces résultats....<br /> Moi aussi , malgré mon éloignement de la vie politique, j'enrage depuis quelques mois, quelques semaines à voir notre parti se contenter de fustiger la majorité actuelle et ne pas faire de<br /> propositions en lien avec les difficultés quotidiennes des français.<br /> Quelques exemples très faciles sur lesquels s'appuient les abstentionnistes et le vote FN pour appuyer le Ni-NI ambiant(Ni PS, Ni UMP)<br /> Le blocage des salaiores et la réforme des retraites qui n'a été fait que sur des bases budgétaires sans accompagnement des effets sociaux et plus particulièrement vers les femmes, les précaires,<br /> ceux qui alignent des petits contrats. Les gens se sont battus, ont défilé, ont beaucoup lu, partagé, débattu et au bout une réforme qui s'applique et des nouveaux retraités qui se retrouvent déjà<br /> avec 300€ de moins de pension!!!!! Les organisations syndicales, les partis de gauche étaient présent, bien présents mais pour que les votes suivent, il faut faire des propositions concrètes,<br /> expliquer ce que l'on fera, ce que l'on changera à cette réforme. Et le mettre en application quand nous serons au pouvoir .<br /> Sans cela, sans cet engagement, les français ne nous feront pas confiance et ne reviendront pas voter.<br /> <br /> Bien entendu il ne faut pas être démago mais dire ce que nous pouvons faire, ce que nous allons faire et défendre ces positions.<br /> <br /> Autre exemple très concret dans la vie de tous les jours: Les problèmes sociaux se cumulent, plus de 5 millions de précaires en france, des queues aux restau du coeur, des cadres moyens qui n'ont<br /> plus d'argent en fin de mois, des déserts médicaux et sociaux un peu partout dans nos départements, des quartiers entiers de villes qui n'ont pas vu le moindre centimes atterir dans le cadre des<br /> projets ANRU (Ou qui trainent à tomber), des familles en détresse et des cadres sociaux des Conseils généraux qui débordent de dossier, de placement d'enfants....etc etc.<br /> <br /> Ce n'est pas un tableau à la Zola mais il faut ouvrir les yeux, la France s'appauvrit, la france n'est plus une terre d'envie comme il y a 30 ans. Les forces de gauche et le PS doivent être (ET<br /> TRES RAPIDEMENT) cette alternative.<br /> <br /> Nous devons faire espérer nos compatriotes, nos ainés, nos jeunes vers une france juste, sociale, équilibrée, ouverte et non vers une france d'exclusion comme la droite la construit patiemment et<br /> que le FN récolte élections après élections les conséquences.<br /> <br /> C'est au PS, c'est à nous de prendre rapidement le relais.<br /> <br /> Alors oui ne pas se sontenter de claironner comme dans la newsleter du PS 95 que nous avons fait plus de 45% des voix mais plutôt se dire que le Val d'Oise est en danger si l'UMP reprend sa<br /> direction, se dire que nos villes et nos forces sont trop diverses pour gagner des élections et qu'une solidarité sans faille entre nous doit être rapidement trouvée.<br /> <br /> Amitiés sociales.<br /> <br /> Nb: je suis dans l'Eure et j'ai trouvé un département presqu'identique au Val d'Oise avec des problèmatiques sociales inquiètantes mais une majorité PS au CG qui ne risque pas de perdre. Une<br /> socialiste a perdu au premier tour comme Emmanuel et c'est très difficile à vivre un soir d'élections, merci de transmettre mes amitiés fortes à Emmanuel.<br /> <br /> P Rouchette<br /> <br /> <br />
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G
<br /> Oui, oui, trois fois oui. Mais, hélas, il est souvent plus confortable au sein du PS de se mentir pour expliquer le vote FN en invoquant, qui le fort taux d'abstention, qui la porosité de l'UMP.<br /> Dans le contexte actuel, appeler au vote UMP face au FN montre une surdité de nos dirigeants au ras-le-bol de l'électorat frontiste, particulièrement dans des départements comme le 95 ou le 77. Il<br /> nous faut dire, et prouver par un projet cohérent, que la gauche veut "changer la vie". Et non pas gérer, certes de façon plus solidaire que la droite, mais dans le même esprit que l'UMP. (cf. par<br /> exemple, parmi tant d'autres, la question des retraites)<br /> <br /> <br />
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