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24 avril 2012 2 24 /04 /avril /2012 12:26

article publié le 23 avril 2012 par Rue 89 - Zineb Dryef

La veille, il a respiré. Se réveiller à 10 heures, regarder une série danoise, assister à un match de basket, tweeter «Suzanne» de Joan Baez et rire parce que les militants de droite y voient du «militantisme subliminal». «Suzanne, subliminal !» Et puis porter encore un peu la parole socialiste à la caisse du supermarché et convaincre deux indécis. «Deux !»

Au volant de l’Opel Corsa, siège bébé, qu’il conduit à nouveau depuis le vol de son scooter prêté par le PS, Benoît Hamon dit aimer cette trêve qui précède l’élection. Quelques heures d’inactivité en attendant dimanche. Il dit de cette trêve qu’elle est «space».

Il roule et il a l’air parfaitement serein. On cherche l’indice d’une tension quelconque. Rien. Au réveil, il a tweeté «Beautiful day» de U2, «pour la météo». Grand soleil ce dimanche matin. Un dimanche à «se faire un foot avec Assouline [David Assouline, sénateur socialiste, ndlr]».

Cinq ans après l’élection de Nicolas Sarkozy, le bébé PS, l’un des «jeunes lions» comme ils ont pompeusement aimé se surnommer, a perdu une élection (les européennes), renoncé à représenter l’aile gauche du parti (au congrès de Reims) et pris quelques rides.


« BFM, une chaîne où il faut aller »

hamon-trappes.jpg

Benoît Hamon vote à Trappes (Zineb Dryef/Rue89)

A 10h30, à Trappes où il vote, les caméras escomptées ne sont pas là. La parole officielle du PS, celle qui intéresse les médias, se confond désormais avec la sienne.

L’un des hommes les plus filmés du PS – points presse toutes les semaines – a appris depuis 2008 à mettre son parcours derrière sa fonction.

Mais quand un embouteillage sur la N10 nous ralentit, on est avec «Benoît Hamon, candidat de la 11e circonscription des Yvelines». Exposition du projet de réaménagement de cette voie et attaque de Valérie Pécresse, la présidente de la fédération UMP des Yvelines, qui «fait son projet, genre c’est SimCity mais chez les autres».

On est en 2012 et son combat personnel, depuis janvier dernier, c’est Trappes. Le porte-parole du PS, dans son costume sombre, cravate fine, laboure ce territoire de droite depuis des mois pour se faire élire député. Il égrène ces chiffres, des victoires, «on a fait 15 000 portes. On a recueilli 2 000 contacts». Puis calcule : «Obama dit que sept portes ouvertes vous font gagner un indécis. Je ne suis pas aussi optimiste, mais disons que sur dix portes, on gagne une voix.»

De ce porte-à-porte massif, dont il revendique la paternité, il retient aussi que «BFM est la télé la plus allumée dans les appartement» : «Je sais que c’est une chaîne où c’est bien d’aller.»

Il est fier de sa permanence qui fait face au marché. Fier des militants qui le soutiennent, surtout de René, Robert, Nobel et Ronsard, quatre frères investis derrière lui. Fier de son territoire. Aux Merisiers, il montre chaque immeuble qu’il faudra reconstruire, répond, gêné mais souriant, qu’il n’est pas encore élu à un vieux maghrébin qui lui donne du « monsieur le député », fait la promotion de la base de loisirs et de son club de voile sur l’étang.

hamon-permanence.jpgBenoît Hamon dans sa permanence, avec Pauline, stagiaire (Zineb Dryef/Rue89)

« Tu veux déjà les résultats ? »

Oui, Benoît Hamon a pris quelques rides mais il affiche toujours cette gentille assurance de celui qui ne veut pas douter de la victoire. Il est déjà dans l’après quand, au téléphone, il donne des consignes : «Faut programmer une réunion pour examiner les résultats bureau de vote par bureau de vote. Demain, on commande des pizzas et on travaille : je veux les comparatifs en nombre de voix, pas en pourcentage

Il prévient quand même que «ça va être serré tout à l’heure. Ce soir, c’est important mais ce n’est pas fini».

Son téléphone sonne. Il est de bonne humeur : «Tu veux déjà les résultats, c’est ça ?» Ça n’arrêtera pas ; une journée de présidentielle, les politiques la passent aussi à répondre aux coups de fil et aux textos des proches qui veulent savoir avant tout le monde, dès 11 heures parfois.

«Personne ne sait vraiment. Il faut attendre 18h40. Là, on a tous les mêmes chiffres, issus de la même source. Bons, mais ce n’est pas significatif.»

Il dit cela quand, autour de midi, il reçoit le texto d’un jeune député avec les scores d’outre-mer, sourcés ministère de l’Intérieur.


« La droite incarne une politique de classe »

«J’aime bien aller voter. “ Cling ! A voté ”.» On l’a déjà dit, la parole du PS se confond désormais avec la sienne mais lorsqu’il dit que voter, «c’est un aboutissement», une banalité qu’il laisse tomber après avoir voté, rien ne sonne moins insincère.

Il dit «aboutissement», on entend «soulagement» : «Ça fait quatre ans maintenant que je fais des points presse, que je joue les opposants. Quatre ans. C’est un aboutissement.
    J’ai déjeuné avec ma femme dans un restau du XVIe. Elle travaille dans le coin. Quand je suis arrivé, le patron a ostensiblement pris son visage dans ses mains et n’a pas arrêté de dire aux clients à voix haute : “Ah ! Vous aussi vous partirez à l’étranger s’il est élu.”
    Ceux qui nous expliquent qu’il n’y a pas de conscience de classe, c’est pas possible. Les riches votent par conscience de classe. C’est revenu avec la politique de la droite et naturellement, ça a fait naître une conscience de classe chez les victimes de cette politique-là. La droite a incarné une politique et un gouvernement de classe.
    J’ai ressenti ça fortement avec les retraites, le côté “bande de feignasses” qu’il y avait derrière leur discours.»

Trappes, Solférino, rue de Ségur... la course

hamon-scooter.jpgBenoît Hamon près du scooter qu’on lui a prêté (Zineb Dryef/Rue89)

Mais il est encore tôt ce dimanche. On ignore alors encore les scores des candidats. L’avenir de Jean-Luc Mélenchon est encore radieux : «Moi, j’ai convaincu mes belles-mères [l’épouse de son père et la mère de la sienne, ndlr]. L’une est danoise et penchait pour Joly.
    Je les ai convaincues pas par la peur d’un second tour avec Marine Le Pen, je n’y crois pas, mais parce que si on veut que Hollande ait les moyens de gouverner à gauche, il lui faut une victoire nette, nette, nette. Une victoire indiscutable.
    Si le but des indécis, c’est que Mélenchon pèse sur Hollande, c’est fait.»

La journée est très longue. Il faut repasser par la rue de Solférino, pourquoi la rue de l’université n’est-elle pas neutralisée comme prévu ? Et cet échafaudage, il se monte ?

S’assurer que les 570 journalistes, la centaine d’invités, les militants – impossible de prévoir leur nombre –, soient correctement reçus. Répondre encore au téléphone. Temps long.

Dans son bureau, entre les photos de Mitterrand et Jaurès, il parcourt le tableau de ses interventions médias : «Ça m’amuse quand les télés du monde entier sont là. Là où ça m’a moins amusé, c’est quand les Américains ont débarqué aux points presse avec l’affaire DSK. Là, oui, j’étais stressé, zéro impro ces jours-là

Il s’en va. Déjeuner, dormir, changer de cravate, tromper l’attente. A 17 heures, revenu dans la cour du siège du Parti socialiste, il est à son aise dans l’atmosphère de folie qui s’installe.

«Hollande 29. Sarkozy 27», les chiffres circulent. Il s’astreint au silence : «La surprise, c’est Cheminade à 17%.»

assouline-hamon.jpgDavid Assouline dans le bureau de Benoît Hamon (Zineb Dryef/Rue89)

Tunnel de réunions avec les dirigeants du PS

L’attente encore. Derrière son ordinateur, Benoît Hamon découvre avec David Assouline l’interview de Mélenchon sur France 2, regarde les clips de campagne de Poutou. Une discussion sur la stratégie des médias belges s’achève par le visionnage de la vidéo où le premier ministre belge chante «La Marseillaise».

Il est 17h30. Il faut faire vite. Un conseil politique restreint, en conférence téléphonique avec François Hollande, doit démarrer à son QG parisien. Il faut faire vite ; quelqu’un prête un scooter. Rue de Ségur, les journalistes patientent sur le trottoir. A l’intérieur, au troisième étage, une porte se ferme derrière une grande table. Ils sont tous là.

hamon-aubry-fabius.jpgMartine Aubry et Laurent Fabius rue de Ségur (Zineb Dryef/Rue89)

Laurent Fabius ne lâche pas son téléphone. Bertrand Delanoë, dans un costume plus baby-rocker que jamais, serre toutes les mains avant de s’asseoir près de Manuel Valls, raide, très raide. Mais ils sourient. Ségolène Royal est en retard.

Ce qui doit être un point sur les résultats et une conversation déterminant la «tonalité» des déclarations à faire à la presse se prolonge.

Le score de Marine Le Pen vient d’être revu à la hausse. On parle de 20%.
Des preuves d’amour aux électeurs FN

A la sortie, les visages ne sont pas si graves. «On reste haut. Si ça se confirme, c’est surtout pour Nicolas Sarkozy que la situation est compliquée», résume Benoît Hamon. Il assure que pour Le Pen, ce n’est qu’une surprise relative : «Quand on milite, on le voit qu’elle monte. J’ai surtout peur que beaucoup des électeurs de Marine Le Pen se soient vraiment radicalisés.
    A ceux-là, pas de déclaration d’amour, mais des preuves d’amour. C’est avec la santé, l’éducation qu’on les éloignera du Front national

Les formules commencent à se travailler. «Bon cru présidentiel» sera répétée plusieurs fois pour commenter la participation, seule déclaration consentie aux médias qui s’impatientent.

Deuxième réunion, avant les résultats officiels. Au premier étage, le bureau national se rassemble. C’est bref. Stéphane Le Foll, proche de François Hollande, émerge : «C’est par où le BN ?
    – C’est terminé.»

Il revient à la charge : «T’es sûr ?» Dehors, on crie «François, François», mais les socialistes doivent encore tenir. Comme il est dur de contenir sa joie. Mais il y tient ; ne pas déroger à la règle, attendre 20 heures. Benoît Hamon explosera de joie à 20 heures très précises : «Waouh ! Ça fait du bien d’être en tête, ça fait longtemps. La légitimité de François Hollande est incontestable.»

hamon-resultats.jpgBenoît Hamon à l’annonce des résultats (Zineb Dryef/Rue89)

Près de lui, Caroline de Haas, sa collaboratrice d’Osez le féminisme, et une formidable cohue.

Cinquante minutes plus tard, on le retrouve essoré mais heureux. Il vient d’enchaîner 15 interventions télévisées : M6, BFM-TV, RFI, France 24, la RTBF, i>Télé, France 2, France 3, la télé du PS, LCI, TF1, Le Tatou, RFI en anglais.

Quelqu’un rit. «Quoi, pourquoi tu te marres ? Qu’est-ce qu’il a mon anglais ?»

« 50% ! 50% »

Ça ne s’arrête plus. Il faut galoper à l’étage, tout le PS – réuni on ne sait comment, ils semblaient tous être dans la télé – vont écouter François Hollande.

Martine Aubry, comme à son habitude, a du mal à afficher un grand sourire. Les anciens, Lionel Jospin et Elisabeth Guigou, sont les derniers. Ils trinquent (sans doute), se font d’ultimes recommandations. Même si le score est plus serré que prévu entre les deux candidats – ils le savent à cet instant –, ils s’accordent sur «la claque à Sarkozy».

hamon-bureau.jpgBenoît Hamon dans son bureau en fin de soirée (Zineb Dryef/Rue89)

«50% ! 50% !» Il hurle dans son bureau. Les yeux chargés d’enthousiasme, Benoît Hamon court dans le couloir. On l’entend crier encore «50% !».

Enfin, il revient dans son bureau. Enfin, il se laisse tomber sur une chaise : «Bon, c’est 49%, mais c’est pas la classe ?»

Les résultats de Trappes sont tombés. La journée de Benoît Hamon vient de commencer. Il est plus de 23 heures.

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