Posté par Liêm Hoang Ngoc
Interview de Liêm Hoang Ngoc, agence Focus. Liêm Hoang-Ngoc est économiste, maître de conférence à l’Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne et auteur de plusieurs essais sur l’économie et la fiscalité, dont Vive l’impôt ! et Sarkonomics. Membre du courant d’Henri Emmanuelli et de Benoit Hamon , il est également secrétaire national adjoint du Parti socialiste à l’économie, et vient d’être élu député européen dans l’Est, aux côtés de Catherine Trautmann. Dans un contexte difficile pour son parti comme pour toute la gauche européenne, il revient pour l’agence Focus sur les grands dossiers de l’Europe sociale, sans cacher son pessimisme.
Vous venez d’être élu au Parlement européen. Cette satisfaction suffit-elle à effacer la déception des résultats du PS et du Parti socialiste européen (PSE) ?
Liêm Hoang-Ngoc : C’est une goutte d’eau dans un océan d’amertume. La situation de la gauche européenne est très préoccupante. Mon sentiment est que les électeurs associent la social-démocratie aux politiques d’accompagnement du néolibéralisme, à travers l’ouverture à la concurrence, la "flexibilisation" des marchés, la remise en cause de la protection sociale, etc. Dans ces conditions ils ne voient pas l’utilité d’aller voter. La Stratégie de Lisbonne, qui consiste à ouvrir la concurrence et à "flexibiliser" le marché du travail, avec un petit peu de sécurité en "version de gauche", s’est traduite par la privatisation d’EDF/GDF, de la Poste, de France Télécom et par la dérèglementation du droit du travail. Les syndicalistes nous le reprochent assez souvent. Pourtant, au cours de cette campagne que j’ai menée avec Catherine Trautmann, nous avons vraiment insisté sur le social : l’accélération de la convergence, l’harmonisation fiscale, la préférence communautaire, la politique agricole commune, la relance, les services publics, la protection sociale. Nous avons donc tenu un discours de gauche classique. Et les syndicalistes étaient très contents de nous voir revenir sur ces terrains, car il faut une perspective politique à la crise. Mais, au PS, nous avons une génération de dirigeants qui étaient aux manettes avant 2002, qui sont toujours là et qui pensent que l’on ne peut pas faire autrement. D’où la timidité de nos réponses sur le plan de relance, le G20 ou le rapport Cotis (NDLR - le rapport Cotis porte sur le partage de la valeur ajoutée).
L’électorat "Bac +" s’est donc déporté sur les listes Europe écologie qui prennent à bras le corps des questions éthiques et environnementales sans aborder les questions économiques et sociales qui fâchent. Ce phénomène n’est pas nouveau, en Allemagne, les Verts existent depuis des années. Les préoccupations environnementales arrivent aujourd’hui car on prend conscience que l’on est en train de détruire la planète. C’est donc une bonne chose que ces listes aient de bons résultats. Mais l’électorat populaire est resté chez lui, et nous n’avons toujours pas réussi à le reconquérir. Ce qui est préoccupant pour la gauche, c’est donc que sur son terrain traditionnel, qui est le terrain social, elle n’arrive pas à retrouver son électorat de base.
Dans ce contexte, vous pensez pouvoir défendre votre conception d’une Europe sociale ?
L.H-N. : Nous allons essayer de faire de la résistance, parce que la droite a renforcé sa majorité. M. Barroso risque d’être reconduit avec des commissaires qui ont un "code génétique" néolibéral. Même si le contexte peut les inciter à recommander un certain nombre de mesures de relance, ils ne sont pas prédisposés à pratiquer la redistribution ou à encourager une politique industrielle volontariste, notamment en direction des nouveaux États membres. Je ne vois pas dans les projets de l’actuelle Commission ou dans le programme du Parti populaire européen (PPE) l’idée d’accélérer la convergence des nouveaux entrants pour préparer l’harmonisation fiscale et sociale. De plus, on a une situation économique qui risque de se dégrader, et je ne vois pas non plus comment les effets négatifs de la crise pourraient se traduire par une reprise début 2010. On se dirige vers davantage de flexibilité, de délocalisations et un alignement par le bas des normes sociales et fiscales, avec des conséquences dramatiques, puisque ces politiques ont littéralement cassé la croissance en Europe.
Mathématiquement, M. Barroso n’est pas assuré d’obtenir une majorité de voix des députés. Un rassemblement PSE, ADLE, Verts n’est pas envisageable pour proposer une candidature commune ?
L.H-N. : Il nous faudrait déjà convaincre les socialistes portugais, espagnols et anglais ! Si nous pouvons faire autrement, nous le ferons, mais je ne peux hélas pas bâtir de plan sur la comète. Nous devons nous réunir et voir ce que nous sommes en mesure de faire.
Quels seront les grands dossiers que vous comptez défendre durant cette législature ?
L.H-N. : Je pourrais remplacer Benoît Hamon à la commission des affaires économiques. Dans ce cadre, les dossiers qui gravitent autour de la directive services, dans lesquels il faut isoler du champ d’ouverture à la concurrence les services publics et les services sociaux d’intérêt général (SSIG) sont des chantiers très importants. Nous mènerons la bataille d’amendements qu’il faudra, mais ce ne sera pas évident. Il y a aussi la réglementation bancaire. On parle beaucoup de la régulation du système financier, mais on n’a toujours pas mis de moyens à la disposition de la Banque centrale européenne (BCE) pour qu’elle encadre la titrisation des produits toxiques. Est-ce que M. Trichet est favorable à un encadrement de la titrisation ? Je n’en suis pas convaincu. Il faudra de toute façon un débat sur les missions de la BCE, car je ne vois pas comment on peut faire autrement que de passer par la création monétaire pour financer les déficits publics. Mais la plupart des gens de droite sont extrêmement orthodoxes en matière budgétaire. Ils vont ressortir l’argument de l’inflation dans un contexte de quasi-déflation ! Je suis donc assez pessimiste sur l’avenir économique et social de l’Europe. Je pensais au début qu’elle allait progressivement devenir keynésienne, comme l’aurait aimé Jacques Delors. Mais les néo-conservateurs et les centristes n’y sont pas prédisposés. Mais si nous arrivons à les convaincre, je ne demande pas mieux. Après tout, la France du Général de Gaulle était bien plus socialiste que la Grande Bretagne de Tony Blair !
Quelle sera la priorité de votre mandat de député ?
L.H-N. : La première sera de limiter les dégâts, par rapport à une droite qui va approfondir les réformes structurelles. À court terme, il faudra s’opposer aux directives qui achèveraient l’ouverture à la concurrence et la flexibilisation du marché du travail et de la protection sociale obligatoire. Donc il va falloir se battre pour qu’au sein du PSE on prenne des positions beaucoup plus nettes que jusqu’à présent. Je ne parle donc plus d’un plan ambitieux comme lors de la campagne. On ne pense même plus à l’harmonisation fiscale ! L’économie sociale imprègne toutefois quelques milieux de droite. Au niveau des intergroupes, il n’est pas exclu que l’on puisse travailler ensemble, notamment pour une directive spécifique aux SSIG.