Par Marine Turchi - Mediapart.fr
A mesure que l'échéance présidentielle approche et que le PS se délite, François Bayrou se positionne à gauche et se refait une virginité sur la scène européenne. Hier encore, à l'occasion de la 7e convention Europe du MoDem, organisée dans les locaux parisiens de la formation, il s'est défini comme «l'opposant le plus vigoureux».
A un mois des élections européennes, le président du MoDem entend bien montrer que même si ses troupes siègent au sein du groupe ADLE (Alliance des démocrates et libéraux européens, qui regroupe le parti démocrate européen et l'EDLR, le parti libéral européen) à Strasbourg, elles ne votent plus avec les ultralibéraux.
«Nous avons constamment, sans aucune exception, voté dans le sens de la défense des services publics», assurait le président du MoDem, le 10 mai, au Grand Rendez-vous d'Europe 1/Le Parisien. «Depuis que Bayrou est entré dans l'opposition, en 2007, il y a une réelle évolution, les eurodéputés MoDem votent avec nous sur les textes importants», affirme à Mediapart Alain Lipietz, député européen pour les Verts.
Dernier exemple en date: la directive sur le temps de travail des routiers. Visant à plafonner le nombre d'heures prestées hebdomadairement par les transporteurs afin d'améliorer leurs conditions de vie, elle a été rejetée à une courte majorité par le Parlement européen, le 5 mai, la gauche ne souhaitant pas voter une mesure qui ne s'applique pas aux indépendants.
Autre signe fort de ce changement de cap: les critiques de François Bayrou à l'encontre de José Manuel Barroso, le président de la commission européenne, dont il juge l'orientation «trop ultralibérale». Alors que les socialistes européens ne parviennent pas à s'accorder sur une candidature alternative à proposer au lendemain des européennes, le leader centriste a avancé, avec le co-président du Parti démocrate européen, deux noms. «Le premier est celui de Mario Monti», «personnalité du centre-gauche italien», et «le deuxième est celui de Guy Verhofstadt, le précédent premier ministre belge» qui fut «à la tête d'un gouvernement de centre-gauche», a souligné François Bayrou.
Une manière d'occulter que Mario Monti fut aussi l'ancien commissaire européen au marché intérieur (1995-99) puis à la concurrence (1999-2004) et «celui qui voulait empêcher l'Etat français de sauver Alstom en 2004 au nom de la concurrence et du libéralisme», ironise Frédéric Lefebvre, le porte-parole de l'UMP, qui accuse le président du MoDem de vouloir «masquer la réalité».
«[François Bayrou] est un ultraconservateur à l'anglo-saxonne» dont les «amis» [Ndlr: les eurodéputés du MoDem] siègent à Strasbourg avec les «ultralibéraux», accuse-t-il. Selon l'UMP, François Bayrou aurait aussi «un peu mis de côté son conseiller économique Jean Peyrelevade dont chacun sait qu'il a une politique économique ultra-conservatrice.»
«Entre 2004 et 2007, ils ont voté avec les ultralibéraux»
Pour autant, ce nouveau positionnement n'efface pas les années durant lesquelles les troupes de François Bayrou ont voté avec les libéraux. Et depuis quelques semaines, le PS s'emploie à rafraîchir la mémoire du leader centriste, quitte à donner dans la caricature (lire l'article de Libération du 14 mai). Le 24 avril, lors du premier meeting européen du PS, à Toulouse, Martin Schulz, le président des socialistes européens, était monté au créneau pour dégonfler «l'imposture Bayrou» (dixit Harlem Désir). «A la maison, il parle comme Karl Marx en exil mais, à Bruxelles, il est avec des sauvages néolibéraux», avait-il lancé (lire notre article du 25 avril).
Le 11 mai, c'était au tour de Razzy Hammadi, secrétaire national du PS aux services publics, de s'y coller. «Les déclarations de François Bayrou concernant les services publics sont au mieux un mensonge nourri d'ignorance, au pire une tentative manifeste et démagogique de tromperiedes électeurs, a-t-il accusé dans un communiqué. François Bayrou rentre dans cette campagne des européennes avec les habits du menteur et du manipulateur.» Et Razzy Hammadi de s'appuyer sur «trois votes parmi les plus importants pour l'avenir des services publics»:
- la discussion relative à la directive «services dans le marché intérieur» (16 février 2006)
- le débat sur le Livre blanc de la Commission sur les services d'intérêt général (27 septembre 2006)
- le vote sur le rapport «Développement de chemins de fer communautaires» visant à «l'ultra-libéralisation»18 janvier 2007) du secteur (
Le lendemain, Benoît Hamon évoquait quant à lui «une drôle de campagne, qui marque la disparition de la famille démocrate-chrétienne qui a choisi de ne pas faire campagne sur l’Europe pour n’envisager que son rapport à Nicolas Sarkozy».
«Le MoDem n'a pas toujours défendu les positions du PS sur les services publics, mais il n'a pas pour autant voté avec les libéraux, reconnaît Gilles Savary, eurodéputé socialiste sortant (et non reconduit sur les listes), jeudi, dans Libération. Le MoDem a beaucoup évolué sur ces questions en dix ans. Depuis la dernière mandature, ils ont régulièrement aligné leurs positions sur celles du PSE, qui sont souvent moins radicales que celles des socialistes français.»
«Entre 2004 et 2007, [les eurodéputés centristes] votaient avec les ultralibéraux», reconnaît Alain Lipietz. Sur son blog, en octobre 2004, le député européen, évoquant le vote du Parlement sur la politique de la banque centrale européenne, notait que «les "centristes" du groupe ALDE (dont Mme de Sarnez, MM. Geremek ou Cavada – mais à l’exception du juge Di Pietro)», furent «particulièrement "radicaux"», faisant «systématiquement passer des amendements plus ultralibéraux que les amendements de compromis acceptables que proposait Karas, membre du Parti populaire européen. On mesure ici la sincérité de la campagne des candidats UDF en faveur d’une Europe sociale…».
«Ils ont voté les pires horreurs à propos de mon rapport sur la banque centrale européenne, allant jusqu’à affirmer que la cause du chômage en Europe était l’insuffisance de la durée du travail», rappelait-il quelques mois plus tard.
Rebelote en janvier 2005, lors du vote des amendements (de la gauche) demandant aux États-Unis de ratifier l’accord de Kyoto et le protocole sur la cour pénale internationale: les élus centristes votent contre. Dans un billet intitulé «L'UDF s'enfonce», Alain Lipietz s'interrogeait: «Cette attitude de l’UDF traduit-elle une volonté de se démarquer de Chirac sur la droite? Ou s’agit-il plus simplement d’une succession de maladresses, Bayrou ayant cru malin de flatter son électorat supposé islamophobe, et ses députés, d’autre part, suivant aveuglément les "feuilles de votes" concoctées par les salariés du groupe libéral-démocrate où ils sont inscrits, sans même prendre la peine de vérifier leur sens politique?» C'était il y a quatre ans, Marielle de Sarnez était déjà députée européenne et François Bayrou président de l'UDF.
Marielle de Sarnez, elle, affirme que «tout est clair depuis le début»: «Nous sommes en accord avec les libéraux sur les questions institutionnelles mais pas sur les questions économiques et sociales.»
[1] http://www.mediapart.fr/club/blog/marine-turchi
[2] http://www.lemonde.fr/elections-europeennes/article/2009/05/14/bayrou-se-pose-en-recours_1192778_1168667.html
[3] http://www.leparisien.fr/politique/bayrou-prone-l-alternance-a-la-tete-de-la-commission-europeenne-10-05-2009-507863.php
[4] http://www.rtlinfo.be/rtl/news/article/239671/--UE: directive sur le temps de travail des routiers rejetée
[5] http://www.lemonde.fr/europe/article/2009/05/12/m-barroso-l-autre-cible-de-m-bayrou_1191983_3214.html
[6] http://tempsreel.nouvelobs.com/speciales/politique/europeennes_2009/20090511.OBS6460/bayrou_soutient_les_ultraliberaux_europeens_avance_lump.html
[7] http://www.mediapart.fr/journal/france/050509/bayrou-et-les-alliances-un-casse-tete-qui-empoisonne-le-ps
[8] http://www.mediapart.fr/journal/france/250409/toulouse-l-eurovision-sociale-democrate-lance-la-campagne-electorale
[9] http://presse.parti-socialiste.fr/2009/05/11/le-modem-et-les-services-publics-au-parlement-europeen-le-mensonge-de-f-bayrou/
[10] http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?type=CRE&reference=20060216&secondRef=ITEM-007&language=FR&ring=A6-2005-0409#4-070
[11] http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?type=CRE&reference=20060927&secondRef=ITEM-006&language=FR&ring=A6-2006-0275#3-164
[12] http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?type=CRE&reference=20070118&secondRef=ITEM-010&language=FR&ring=A6-2006-0475#4-089
[13] http://www.liberation.fr/monde/0101566932-aubry-sonne-le-rappel-au-ps
[14] http://lipietz.net/?breve16
[15] http://lipietz.net/spip.php?breve33