Egalité des chances: un discours, et après?
Par Jade Lindgaard - vendredi 24 avril 2009 - Mediapart.fr
Le plan pour l'égalité des chances, «c'est comme Potemkine: le décor est hyper-beau mais derrière, il n'y a rien!» Colère du directeur de Sciences-Po Lille, Pierre Mathiot, jeudi 23 avril, à la veille d'un déplacement de Nicolas Sarkozy à Jouy-le-Moutier (Val-d'Oise), en banlieue parisienne sur le thème de l'emploi des jeunes. Depuis 18 mois, son Institut d'études politiques (IEP) a mis sur pied un programme de formation pour aider les lycéens du Nord-Pas-de-Calais à intégrer Sciences-Po. Environ 350 élèves dans soixante lycées de la région suivent actuellement le «programme d'étude intégrée» (PEI) élaboré par Sciences-Po Lille. En 2008, 20% d'entre eux ont réussi le concours d'entrée des IEP. Et pourtant cette formation pilote n'a reçu aucune subvention de l'Etat malgré les demandes de ses initiateurs. «Il y a beaucoup d'effets d'annonce, On nous demande d'être innovant et de prendre des risques mais il n'y a pas un kopeck!», se désole Pierre Mathiot.
Nicolas Sarkozy avait pourtant annoncé en grande pompe une série de mesures en faveur de l'égalité des chances le 17 décembre, à l'école Polytechnique. Parmi lesquelles, l'obligation pour tous les lycées de présenter au moins 5% d'élèves de terminale en classe préparatoire aux grandes écoles. «Comme toujours l'égalité réelle des chances, c'est d'abord par l'école qu'elle passe», avait-il déclaré. Richard Descoings, directeur de Sciences-Po Paris, a été chargé d'une mission sur la réforme du lycée.
«Notre projet fonctionne», insiste Xavier de Glowczewski, professeur au lycée Faidherbe de Lille et conseiller du directeur de l'IEP Lille sur la «démocratisation». En 2008, 20% des lycéens ayant suivi le PEI ont réussi le concours d'entrée à Sciences-Po, selon les chiffres de l'IEP Lille. La moitié des élèves ayant raté le concours sont entrés en classe prépa. Cette année, 70% des élèves de terminale inscrits dans le programme ont fait une demande d'entrée en classe prépa.
"Au-delà du périphérique"
Cette formation est unique en France: elle permet aux élèves de passer le même concours que les autres candidats à l'IEP – les classes ZEP de Sciences-Po Paris offrent une voie d'accès parallèle – et elle est aussi un moyen de lutter contre le chômage des jeunes, rappelle l'enseignant. Un problème avivé par les difficultés rencontrées par les gros employeurs historiques de la région, cristalleries d'Arc et Arcelor-Mittal. La région a versé 50.000 euros. Quelques mécènes (BNP Paribas, SNCF...) ont aussi contribué. Mais pour l'année scolaire en cours, Sciences-Po Lille prend à sa charge les deux tiers du budget. Le coût de la formation tourne autour de 600 euros par élève.
Nicolas Sarkozy à l'école Polytechnique, 17 décembre 2008.
En novembre 2008, le PEI a reçu le label «cordée de la réussite», dispositif de partenariat entre enseignement supérieur et lycées situés dans les quartiers prioritaires. «Un label et pas d'argent derrière»..., regrette Xavier de Glowczewski. «Il y a un peu d'agacement, reconnaît le directeur de Sciences-Po Lille: «On rame, on rame, on rame...»
Contacté par Mediapart, l'entourage de Valérie Pécresse promet 2 millions d'euros courant mai pour les «cordées», répartis entre les 125 projets labellisés. Soit 16.000 euros en moyenne par projet – le ministère de la ville devrait verser 1,5 million d'euros, et l'enseignement supérieur 500.000 –, à peine un tiers de l'aide sollicitée auprès de l'Etat (50.000 euros).
Humiliation supplémentaire : Yazid Sabeg, commissaire à la diversité, devait rendre visite, vendredi, aux lycéens suivant la formation de Sciences-Po Lille, et rencontrer élèves et partenaires locaux. La visite a été annulée à la dernière minute: Yazid Sabeg participera à la place au déplacement de Nicolas Sarkozy à Jouy-le-Moutier. D'où un communiqué rageur de Pierre Mathiot, le directeur de l'IEP lillois : «C'est sur le terrain que se mène et se gagne le combat pour l'égalité, loin des effets d'annonce sans lendemain et des promesses non tenues, loin des quartiers ministériels et des cortèges officiels, au-delà sans doute du périphérique.»
[1] http://www.mediapart.fr/club/blog/jade-lindgaard
[2] http://www.mediapart.fr/journal/france/180409/faut-il-vraiment-des-aides-ciblees-pour-les-jeunes-de-18-a-25-ans
[3] http://www.mediapart.fr/journal/france/130409/l-alternance-appelee-au-chevet-de-l-emploi-des-jeunes
[4] http://iep.univ-lille2.fr/
[5] http://www.mediapart.fr/files/disc.pdf
[6] http://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/cid22990/les-cordees-de-la-reussite-un-acces-pour-tous-a-l-enseignement-superieur.html